Chapitre 2 - Excursion en mer

Cats 11

Le médecin arriva rapidement avec son sac d’équipements en compagnie de Sorrento. Le serviteur le fit entrer et lui montra la jeune femme à examiner. Les oreilles pointues furent vite repérées mais le médecin ne laissa rien paraître. Il posa son sac sur le meuble et sortit son stéthoscope. Cependant, il ne pourra pas faire un examen complet si la patiente est endormie.

 

« Vous savez si elle présente des blessures ?

— Je ne pense pas. Je l’ai porté pour la mettre dans le lit. Je n’ai pas eu de sang sur mes vêtements.

Le docteur voulu vérifier quand même. Il demanda à Sorrento de l’aider à enlever sa robe. Le serviteur s’exécuta bien qu’il ne fut pas à l’aise de se trouver devant le corps nu de la demoiselle. Il regarda immédiatement ailleurs. Le médecin enleva une taie d’oreiller et couvrit la taille d’Enliana pour préserver un minimum sa pudeur. Il examina ensuite le corps de la patiente. Pas de blessures ouvertes ni d’hématome ; c’était une bonne nouvelle. Il s’assit ensuite près d’elle sur le lit et déposa le pavillon de son instrument au-dessus de sa poitrine et écouta.

— Son cœur bat lentement. Vous pouvez la redresser ? (Le serviteur se tourna et passa son bras au dos de la jeune femme puis la releva doucement. Le docteur se mit derrière elle et plaça le pavillon sur le dos à plusieurs endroits.) Le pouls est faible. Elle respire assez bien mais cela pourrait être mieux. Toutefois ce n’est pas dangereux. Cependant elle m’intrigue quand même. Ce serait plus facile si elle était réveillée. Reposez-la sur le lit. (Le docteur alla chercher son tensiomètre. Sorrento l'avait rallongée, le médecin couvrit son corps entièrement avec le drap. Le serviteur était soulagé, il pouvait à nouveau regarder paisiblement. Le docteur mit le brassard au bras de la patiente en mettant le pavillon de son stéthoscope juste en dessous. Il le gonfla, attendit quelques secondes puis dégonfla le brassard.) Elle est en hypotension. Je m’en doutais, c’est pour ça qu’elle s’évanouit. On va la laisser tranquille pour le moment. Prévenez-moi lorsqu’elle sera réveillée, je ferai une nouvelle auscultation.

— Oui Docteur.

— Nous en saurons plus à ce moment-là. Par contre, je vais lui faire une prise de sang afin d'établir un bilan général. (Le médecin rangea son stéthoscope et sortit un cathéter et le nécessaire pour nettoyer une zone au niveau du bras. Après avoir désinfecté, le médecin planta délicatement le cathéter dans la veine du pli du coude. Il sortit ses tubes et en préleva difficilement une douzaine.) Eh bien ? Ce n’est pas facile de l’avoir son sang. Pourtant il n’a pas l’air si épais que ça. (Il rangea les tubes tout en notant le nom de la patiente et prépara un gros coton ainsi que du ruban adhésif. Il appliqua la boule ouatée sur le cathéter tout en le retirant délicatement. Il mit ensuite le ruban adhésif.) Faites un point de pression sur le coton pendant une ou deux minutes. (Sorrento apposa son pouce sur celui-ci tandis que le médecin jetait les déchets dans un sac en plastique jaune puis il rangea le tout.) Je vais porter ça au laboratoire. Nous aurons les résultats dans environ deux jours. C’est bon vous pouvez arrêter de comprimer. Le sang a dû coaguler maintenant.

— Dans deux jours ? Mais nous devons partir aujourd’hui.

— Ah ? Eh bien, le laboratoire vous communiquera les résultats par téléphone mais ce sera plus un bilan. Je ne pourrais donc pas l’ausculter à son réveil.

— Il y a un médecin sur le paquebot.

— Parfait, je resterai en relation avec lui dans ce cas. Il me faut ses coordonnées.

— Venez, je vais vous les fournir. Croyez-vous que je peux la laisser seule quelques instants ?

— Elle dort, elle ne risque pas de se sauver. Par contre, il faudrait la rhabiller.

Le médecin vit que cela gênait le jeune homme de voir Enliana aussi découverte.

— Vous allez la tenir pendant que je lui enfile sa robe. Vous pourrez ainsi détourner le regard. »

 

Les deux hommes rhabillèrent Enliana puis sortirent de la pièce. Julian avait demandé aux dames de préparer la chambre située à côté de celle de Sorrento. Elles se hâtèrent pour exécuter l’ordre. Le maître arriva ensuite au bureau des vigiles. Il leur demanda s’il n’avait rien remarqué d’anormal aux caméras cette nuit, comme la présence d’une femme. Néanmoins il n’avait pas l’équipe de nuit en face de lui. Il demanda qu’on visionne toutes les bandes et qu’on cherche une femme aux oreilles pointues. Les vigiles obéirent sans discuter. Julian retourna dans la chambre de son serviteur pour avoir des nouvelles. Ce dernier venait tout juste de revenir. Julian pensait que le médecin serait encore là mais il était déjà parti. La demoiselle avait un coton maintenu avec un sparadrap au niveau du pli du coude. Sorrento lui expliqua la situation.

 

« Très bien. J’ai demandé aux vigiles de vérifier les vidéos. On saura peut-être d’où elle est venue. Il doit y avoir une faille dans la surveillance du bâtiment. Il faut savoir où maintenant. On va la mettre dans une autre chambre. Prends-la, je vais t’ouvrir les portes.

— Oui Monsieur Solo.

Sorrento prit la jeune femme en essayant de ne pas la réveiller et suivit Julian. Ils sortirent de la chambre et le maître ouvrit la porte de l’autre pièce. Les dames venaient de partir, les draps étaient fraîchement posés. Julian les ouvrit et Sorrento déposa la demi-elfe.

— Elle sera plus tranquille ici. Tu n’auras pas à l’inviter dans ton lit.

Le serviteur se mit à rougir une nouvelle fois. Il était encore en train de le taquiner. Mais quand arrêtera-t-il ?!

— Monsieur Solo, cela devient vraiment gênant, surtout devant elle.

— Pourquoi ? Elle ne te plaît pas ? Elle est plutôt mignonne. Enliana, c'est ça ? Son nom est aussi doux que son visage. Et puis tu l’as déjà vu nue, tu n’es plus à ça près.

— Correction, je ne l’ai pas vu nue, j’ai détourné le regard. Et il est un peu tôt pour dire quoi que ce soit à ce sujet.

— Un vrai gentleman, elle a de la chance. Elle peut rester quelques temps si tu le souhaites. Je ne la mets pas dehors. Nous devons d’abord avoir les réponses à nos questions. Ça te laisse le temps de la connaître un peu plus.

— Pourquoi devrais-je faire ça ? Rien ne m’y force.

— Tu es mon serviteur mais tu es aussi un homme. Tu as le droit d’avoir une femme aimante. Et je t’imagine bien avec elle.

— Mais elle ? Se voit-elle avec moi ? Y avez-vous pensé à ça ?

— C’est à toi de la charmer.

Sorrento fut indigné. Mais de quoi se mêle-t-il ?

— C’est presque pas imposé ! Et ça prend du temps ces choses-là.

— C’est du temps que je te donne volontiers.

— Me l’accordera-t-elle seulement ?

— On verra bien. Reste à son chevet. Il est possible qu'elle soit déboussolée à son réveil.

— Oui Monsieur Solo. »

 

Julian sortit de la chambre et laissa Sorrento s’occuper de la demi-elfe. Le serviteur prit une chaise et la positionna près du lit. Fallait bien que cela arrive aujourd’hui, le jour où ils devaient faire leur tour du monde. Les autres domestiques préparaient déjà les valises. Celle de Sorrento était prête. Comment allaient-ils faire avec elle ? Ils n’allaient tout de même pas l’emmener sur le paquebot ? Le bateau partait ce matin. Et si elle ne se réveillait pas d’ici-là ? Ils allaient être obligés de l’emmener endormie.

 

Plusieurs heures plus tard Enliana s'éveilla enfin. Bien moins fatiguée, elle avait repris des couleurs mais son teint manquait encore de fraîcheur. Elle ouvrit doucement les yeux, la pièce était claire, très ensoleillée. Mais elle ne ressemblait en rien à la chambre du serviteur. Les murs étaient d’une couleur pure avec un tableau contenant une peinture abstraite situé sur sa droite. En face d’elle il y avait un meuble insignifiant et sur la gauche, elle voyait une porte. Elle regarda à nouveau vers son petit lit, la couverture était verte et les draps blancs. Elle tourna la tête sur le côté et elle se plaqua directement contre le mur. « Aïe ! » Elle se massa l’arrière du crâne. Sorrento était assit en tailleur sur le lit de gauche et la regardait d’un air très attentif.

 

« Ça ne va pas de me fixer comme ça sans prévenir ?!

— Je ne pensais pas que ça te ferait aussi peur.

— On est où là ?

— Sur le paquebot de Monsieur Solo.

— Pa… Pakbo ?

Le serviteur posa les pieds à terre et resta assis en continuant de fixer Enliana.

— Tu vas peut-être enfin répondre à nos questions. Comment es-tu arrivée au domaine de Monsieur Solo ?

— Je vous l’ai dit, je ne sais pas.

Le serviteur afficha un air sceptique.

— Tu ne sais pas. Étais-tu ivre hier soir ?

— Quoi ?! Mais enfin, je ne bois pas d’alcool !

— D’où viens-tu ?

— Il y avait un homme. Un grand aux cheveux bleus. Je crois qu’il s’appelait Kanon. Il a levé la main au-dessus de moi. Le ciel a bougé, je flottais dans l’espace. Je n’ai pas compris ce qui m’est arrivée. Et je me suis réveillée avec vous à mes côtés.

Kanon ? C’est donc Kanon qui m’aurait envoyé cette femme ? pensa-t-il. Mais dans quel but ? A-t-elle besoin d’être protégée ?

— Enliana, où est Kanon ?

— Aux Enfers d’Hadès, là d’où je viens.

— Il y a des elfes aux Enfers d’Hadès ?

— Je ne suis pas une elfe ! Ma mère l’était mais pas moi !

— Calme-toi, je ne voulais pas t’offenser.

— Je ne suis qu'une demi-elfe. Mon père est un humain et moi une erreur de la nature, expliqua-t-elle avec dégoût.

Voyant qu'elle boudait, il posa sa main sur son épaule.

— Ne sois pas si dure envers toi-même.

— Ne me touchez pas ! fit-elle en retirant violemment sa main.

— D’accord. S’il te plaît, il faut vraiment que tu te calmes.

— Je suis désolée si je me suis introduite chez vous. Je ne voulais pas. Depuis que cette sorcière m’a jeté un sort plus rien ne va. Elle m’a maudite !

— Je ne comprends rien à tes histoires. Quelle sorcière ?

— Sur Laethion, les terres d’où je viens.

— Je croyais que tu venais des Enfers d’Hadès.

— C’est là où cette garce m’a projetée ! Je ne suis pas une créature des enfers ! Je viens des terres de Laethion. Ma mère était Hildarel, une elfe de Linione. Elle m’a donné ses dernières forces pour que je puisse vivre alors que moi j’aurais voulu mourir.

Sorrento fut stupéfait par ses propos.

— Mourir ?! Mais pourquoi ça ?

— Là-bas ils m’ont détruite.

— Tu te reconstruiras ici, rassures-toi. Tu as survécu aux Enfers, tu es très forte mentalement.

— Je n’ai vu que des humains depuis que cette sorcière m’a ensorcelée. Y a-t-il des demi-elfes chez vous ?

— Non, nous sommes tous humains.

— Alors je n’ai pas ma place parmi vous. Mon âme aurait dû quitter ce corps quand il était encore temps. Maintenant il est trop tard. (Soudain elle se souvint de sa dague.) Mon sac ? Où est mon sac ?

— Dans le meuble juste devant toi. Tu as autant ta place ici que n’importe quel autre humain.

— Vous ne comprenez pas. Personne ne voudra de moi. Absolument personne. Qui voudrait vivre avec une femme qui ne peut pas vieillir avec lui ? J’ai plus de soixante ans, sauriez-vous le dire ?

— Non pas du tout, tu es encore très jeune et très belle. Je te donnerai… grand maximum vingt ans.

— Les demi-elfes sont maudits dès leur naissance. À moins d'en trouver un autre à épouser, ils sont condamnés à vivre seuls toute leur vie. (Elle regarda par la fenêtre et vit un océan à perte de vue.) On est sur l’eau ?

— Oui on est sur un paquebot, je t’ai dit.

— C’est quoi un pakbo ?

Le serviteur se demandait si elle ne se moquait pas de lui.

— C’est un gros gros bateau, répondit-il avec un grand geste.

— Non on n’est pas sur un bateau. Il n’y a pas de pièce comme ça sur un bateau.

— On est sur un gros gros gros bateau, reprit-il, avec des grandes pièces, des boutiques, des restaurants, beaucoup de monde et beaucoup de chambres.

Enliana était dubitative. Se moquerait-il d'elle ? Ce n'était pas très gentleman de sa part.

— Une ville sur un bateau ? Mais non ça n’existe pas.

— Je crois que le meilleur moyen de t’en rendre compte est de voir par toi-même. »

 

Sorrento se leva du lit et lui tendit la main. Elle hésita. Où voulait-il l’emmener ? Dans l’état où elle était, elle pouvait au moins lui faire des coupures superficielles, comme elle l’avait fait à Phlegyas aux Enfers. Cela lui laisserait le temps de s’enfuir. « Viens, nous allons voir mon maître, Julian Solo. » La jeune femme saisit doucement sa main mais avec un air méfiant. Ils sortirent de la chambre et il lui demanda de l’attendre. Il ferma la porte à clef puis il l'invita à le suivre.

Date de dernière mise à jour : 2020-08-19

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