Bonus : créer sa langue fictive

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Lorsque j’ai pris la décision de concevoir un univers tout entier, l’envie de créer une langue s’est vite imposée. Seulement, c’était une première pour moi ! Alors autant vous dire que sans repères, cela n’a pas été de la tarte. Je me souviens qu’à un moment, j’avais l’impression que je n’allais jamais m’en sortir. Néanmoins, je n’avais pas dit mon dernier mot. C’est moi qui aie eu raison de la langue et non l’inverse, ah !

La mauvaise méthode

Comment j’en étais arrivée là ? En faisant n’importe quoi, voyons. Je me suis lancée tête baissée comme un bélier. Sauf que je n’étais ni Mû, ni Shion pour faire suffisamment preuve de discernement. J’ai donc fini… droit dans le mur. J’avais une liste de mots, notés de façon plus ou moins hasardeuse ; avec tout de même de belles trouvailles. Par exemple, Emlov qui est un mélange transformé du verbe Aimer et de son correspondant anglais Love. L’association des deux termes m’a beaucoup plu. C’est peut-être même le mot le plus beau que j’ai dans mon vocabulaire daianien. Bref, j’en avais pas mal de listés.


Puis je me suis dit qu’il fallait que les mots aient un lien entre eux. Pourquoi n’y ai-je pas songé plus tôt ? Qu’est-ce qui m’a fait penser à cela ? L’étymologie. Toutes les langues ont une étymologie, des mots faisant partie d’une même famille, ayant la même racine. Personnellement j’utilise le Wiktionnaire parce que l’étymologie y est notée.

 

Quelle perte de temps. Enfin, à moitié. J’ai déconstruit ce que j’avais bâti parce que même dans mes conjugaisons, cela n’allait pas non plus. Je n’arrivais à rien à cause de l’absence de méthode. Dès le départ, il faut établir des règles. Une langue est un ensemble de règles de prononciation, de conjugaison, de grammaire et de vocabulaire (étymologie).
 

Avoir de la méthode

A. L’ambiance et l’histoire

 

1) L’ambiance

Avant de commencer quoi que ce soit, il faut choisir l’ambiance de votre langue. Pour le daianien, je voulais une langue douce et fluide. J’ai donc regroupé des sonorités chaleureuses. En revanche, pour l’aron j’ai préféré des sons plus durs. J’ai donc noté des syllabes et des sons plus gutturaux, qui se rapprochent de la langue des orcs du Hobbit/Le Seigneur des anneaux. Pour le laethi, le langage se rapprochera du nôtre afin de bien faire la différence entre daianien et laethi.

 

2) L’histoire

Il fallait que je pense à l’histoire des langues avant de pouvoir travailler dessus. Suite à une querelle entre les Hommes et les premiers dieux de Laethion, le daianien fut prohibé par les Humains. Ceux qui la parlent sont les dieux, les esprits et les initiés (= magiciens) en toute discrétion. J’ai décidé que les Hommes, pour s’éloigner autant que possible de l’ancienne langue, ont créé leur propre langue, le laethi (que je développerai plus tard). Tout cela pour quoi ? Eh bien les mots en daianien doivent être bien différents de ceux du laethi. Il faudra donc que je fasse le nécessaire pour les distinguer.
L’aron, quant à lui, sera la langue des créatures et esprits maléfiques. Encore un langage différent à inventer. C’est un dialecte qui a vite été inventé pour véhiculer des messages codés. Cette rapidité de création a donc fait de lui une langue simple au niveau des conjugaisons. Les terminaisons sont par conséquent plus primaires que pour le daianien : -o (je), -a (tu), -i (il/elle), -os (nous), -as (vous), -is (ils/elles). Il n’y a pas de notions de tutoiement/vouvoiement. La 2e personne du pluriel s’emploie lorsque le sujet comprend plusieurs personnes.

 

B. L’alphabet
 

Une chose que j’ai voulu faire en premier, c’est écrire l’alphabet avec la phonétique. Cela ne m’a pas pris énormément de temps. J’ai noté notre alphabet et indiqué à côté comment le prononcer dans chacune des langues créées.

Exemples :

En daianien, le "o" se nomme orin, le "k" keru, "h" se dit hicto, on dira binal vou pour le "w" (binal signifiant "double"), zirena pour le "z", etc.
Il y a aussi des prononciations plus simples comme a, bi, di, é, fi, etc. Mais il y a également des prononciations plus poussées : le "c" se prononce tche tandis que le "q" se dit qwe. Pour obtenir le "ch", on écrira -sh. Et on dira gue pour le "g".
Aussi le "s" ne sera jamais prononcé comme un "z" français.

 

Voici toutes les règles que j’ai établies avant de me lancer dans l’aventure.

 

C. La conjugaison


Une fois qu’on a déterminé l’ambiance de la langue et qu’on a fignolé notre alphabet, mieux vaut s’occuper de la conjugaison. C’est l’une des parties les plus longues parce que c’est une grosse base d’une langue. À partir du verbe, nous aurons un nom, puis un adjectif, un adverbe.

On doit d’abord définir nos terminaisons. Quelles sont les fins de mots qu’on ne doit pas retrouver dans les autres ?
En français, nous avons trois groupes. Je me suis d’ailleurs appuyée sur notre langue pour créer les miennes. 1er groupe en -er ; 2nd groupe en -ir et 3e groupe rassemblant les autres types de verbes. 


Je me suis rendue compte qu’il fallait que je bloque des terminaisons pour que je puisse facilement reconnaître un verbe d’un adverbe ou d’un nom. J’ai donc les terminaisons suivantes pour le daianien :

  1. -inse ou -ov pour le 1er groupe (verbes à connotation douce), exemples : resinse (ressentir) ou emlov (aimer) ;
  2. -ur, -ar ou -ir pour le 2e groupe (verbes à connotation dure), exemples : enlosar (soumettre), Mrasur (détruire) ;
  3. -on, -en, -an et -il pour le 3e groupe (verbes à connotation neutre), exemples : esplon (expliquer), andinan (finir).

 

Une fois mes terminaisons définies, il était plus facile pour moi d’inventer des verbes (et surtout de les conjuguer comme si c’était une langue réelle). J’ai noté aussi des petites précisions.

  • Pour les verbes longs (plus de 2 syllabes), on enlève la dernière consonne pour les conjuguer. Exemple : Enaldov devient enaldo (j’épargne).
  • Pour les verbes courts (1 à 2 syllabes maxi), on ajoute directement la terminaison à la fin du mot. Exemple : Sheldon devient sheldone (je réfléchis), Ab devient abe (j’ai).

Petite exception pour le verbe "être" où on enlève le "r". Exemple : Estrar devient estra (je suis). Si le verbe se termine par une voyelle, on ajoute un "n" (pour le daianien) avant de mettre la terminaison.

 

J’ai trouvé un lot de trois terminaisons pour les temps simples en prenant ces verbes pour premiers exemples : être, avoir, réfléchir, épargner, comprendre et aller. Pour les autres temps plus compliqués, j’ai usé d’auxiliaires. Et c’est là que j’ai réellement compris l’utilité des auxiliaires, aussi bien en français que dans les autres langues. C’est grâce à eux qu’on peut limiter le nombre des terminaisons. Sinon, on en aurait à la pelle. J’ai par conséquent choisi un auxiliaire par temps.

  • Futur antérieur : ab-/estr- + terminaison du futur + verbe au participe passé. Exemples : abi shonkivemi (j’aurai compris) ; estri nilemi (je serai allé).
  • Passé composé : ven + verbe + terminaison du passé. Exemple : ven estria (j’ai été) ; ven sheldonia (j’ai réfléchi) ; ven nilia (je suis allé).

Et j’ai fait cela pour tous les modes de conjugaison. J’ai aussi limité les cas particuliers parce qu’à force d’en avoir, cela n’a plus vraiment de sens. Enfin, appliquer une certaine logique du début à la fin n'a été que profitable. Je peux ainsi traduire du français en daianien - et inversement - sans le moindre problème. Je compte faire de même pour l’aron et le laethi.

 

La tâche paraît rude, mais quand on a trouvé les combinaisons qui nous conviennent (et surtout qui fonctionnent bien), ce n’est plus qu’un jeu de copier-coller sur un fichier Excel. On perd du temps au début mais on en gagne par la suite.

Faites d’abord les trois premiers temps de l’indicatif (présent, imparfait, futur). Passez ensuite aux participes présents/passés, au gérondif et à l’impératif car vous en aurez besoin pour compléter les autres temps. Finissez avec les temps qu'il reste à compléter. Aidez-vous des conjugaisons françaises pour n’en oublier aucun.

 

ATTENTION : ne confondez pas le futur antérieur et le conditionnel passé. Ce sont deux temps qui se ressemblent mais qui ne signifient pas la même chose. J’ai dû corriger des erreurs tout simplement parce que je n’avais pas été assez vigilante. Par conséquent je m’étais retrouvée avec deux fois le conditionnel passé (dont un à la place du futur antérieur et du coup il y a méprise). Je ne sais pas pourquoi j’ai fait cette erreur-là. Peut-être qu’à force d’avoir la tête constamment dans le guidon, j’ai fini par ne plus voir ce que je faisais.

Donc prenez garde, on peut vite se tromper. C’est cela qui est bien aussi lorsqu’on fait des pauses - et de toute manière, vous serez obligé(e) d’en faire parce que cela m’étonnerait beaucoup que vous puissiez créer une langue en une seule journée – c’est qu’on peut prendre du recul sur ce qu’on fait et voir plus facilement les erreurs, les choses qui sembleront illogiques et qu’il faudra corriger.

 

D. La grammaire
 

Maintenant il faut penser aux déterminants (articles, déterminants démonstratifs, les possessifs, les exclamatifs, les interrogatifs, les indéfinis), aux pronoms (personnels sujets, toniques, réfléchis, possessifs, interrogatifs démonstratifs, relatifs) et à la formulation des différents types de phrases (affirmatives, interrogatives, négatives, la voix active et la voix passive). Prenez garde aussi aux pronoms, certains se ressemblent et il est très facile de les confondre.


Voulez-vous que les sujets soient obligatoires ou peut-on s’en passer par moment ? Personnellement, j’ai fait en sorte qu’on puisse s’en passer car cela peut-être très pratique en chant. Par exemple, pour dire "comprends-tu" on dira simplement Shonkives ? au lieu de Shonkives tiu ?, bien que la seconde formulation ne soit pas incorrecte. Elle peut même être utilisée pour marquer l’insistance.

Dans le cas de la grammaire, il faut aussi suivre une logique. Par exemple, j’ai choisi de supprimer le "l’". Pour "l’après-midi", on dira lia nurermedioni parce qu’en français "après-midi" peut être soit masculin, soit féminin. J’ai opté pour le féminin pour ce terme-là. Je vais vous montrer quelques exemples de déterminants.

Les articles : au/aux ash/ashys ; le lo ; la lia ; les lys ; un in ; une ina, des dys ; du do, de la di lia.

Les démonstratifs : ce/cet hoen, cette haen, ces hyensDans ce cas, j’ai gardé la même logique. Les démonstratifs commencent par un "h" et possèdent tous un "en". Le "o" pour signifier le masculin, le "a" le féminin et le "y" pour les pluriels.

Une fois que vous avez noté vos déterminants, il faut passer à la formulation des phrases (déclaratives, exclamatives, interrogatives, négatives) et penser au passage de la voix active à la voix passive. Donc établissez vos règles de syntaxe.

 

E. Le vocabulaire
 

Maintenant que vous avez tous les éléments en main, vous pouvez enfin vous occuper du vocabulaire. Je vous conseille de remplir votre liste au fur et à mesure. Un fichier tableur peut être bénéfique dans ce cas-là. Vous pourrez créer une liste de la manière suivante :

Lettre Français Daianien Forme conjuguée
1re pers. sing.
Lettre
1 A Abaisser/baisser Widon Widone w

Ensuite mettez en place un filtre au niveau des entêtes de colonnes. Cela facilitera les recherches pour les traductions de phrases. La dernière colonne sert à trouver un mot daianien grâce à sa première lettre. C'est le même principe que pour la 2e colonne.


Pour former vos mots, utilisez l’étymologie. Chaque mot d’une même famille doit avoir la même racine. Par exemple, pour l’amour, j’ai inventé le mot Emlovia.

Chaud = Klaor ; Chaleur = Klaora.

Vous pouvez aussi utiliser la même racine pour des mots différents mais ayant un lien entre eux.

Apprendre = Escolen ; École = Scolia.

Choisissez quelques terminaisons pour les noms communs, les adjectifs, les adverbes.

Amoureux = Emlovix.
Silence = Stel ; Silencieux = Stelix.
Studieux = Scolix.

Songez aussi aux préfixes/suffixes :

Nim- pour "nombreux" → Nimkulor pour multicolore.
-ak/-est/-och pour quelque chose de péjoratif, une insulte → Mibelak ! Imbécile !
-min pour les adverbes → sufaramin = suffisamment ; duchemin = doucement.

Vous pouvez inventer des mots à condition de garder la même logique pour rester cohérent. Songez aux petits mots qui ont l’air si anodins comme "aujourd’hui", "heure", "demain", "toujours", "jamais", "bien". Pensez aux saisons et aux couleurs.

Sur l’heure, il ne serait pas très judicieux de s’aventurer alors qu’il fait nuit noire.
Uni lia horva, nin nuth estrao trins iudonil do awanuran li scabia qwe ute nix chane.


— Comment vas-tu ? Aio niles ?
— Pas très bien. Nin trins alm.
— Puisque tu es malade, demain tu n’iras pas à l’école. Lwise estres miriole, diemun nin nilis o lia scolia.

 

Faites attention à ne pas utiliser un mot pour plusieurs traductions. Cela m'est déjà arrivé, soyez vigilant.
 

Comment inventer des mots ?

Servez-vous des autres langues pour donner forme à la vôtre. J’ai souvent utilisé le traducteur en ligne. Je transformais des mots anglais, espagnol, allemand, suédois, norvégien, finnois, japonais, swahili (si vous voulez savoir à quoi ressemble cette langue : Peter Hollens & Malukah - Baba Yetu), latin, grecque et plein d'autres pour avoir ma liste de vocabulaire. Voyez avec l’étymologie des mots. Certaines pourraient vous inspirer d’autres mots nouveaux.

Servez-vous des chansons que vous écoutez. Non, pas celles où vous entendez clairement les paroles. Je parle de celles dont vous n’entendez que de la semoule (ou du yaourt). Les chansons dont vous n’avez jamais lu les paroles et où les mots se mélangent entre eux. 
D’après vous, d’où vient le verbe Shonkiven ? De la chanson Feint d’Epica. Il y a une partie que je ne comprenais pas bien à l’écoute Made foundations quiver. En fait, c’est le "quiver" qui me faisait défaut car je ne connaissais pas ce mot. De "-tions quiver", avec la semoule que j’entendais, cela a donné Shonkiven. Ah ! on s’est moqué de la semoule que vous entendiez. Eh bien maintenant vous pourrez dire "oui mais avec ma semoule, je t’ai créé une langue, na !"

Inspirez-vous des artistes que vous écoutez. Par exemple, savia (= alors) vient de Cristina Scabbia du groupe Lacuna Coil.
 

Bon à savoir !

J’ai une petite technique pour savoir si les mots que j’invente sont suffisamment convaincants. J’imagine certains personnages, dans des situations données, prononcer mes mots.

  • Pour l’aron, j’imagine l’orc pâle, Azog le profanateur.
  • Pour le daiaien, j’imagine un elfe (Legolas, Seigneur Elrond ou Seigneur Thranduil, Dame Galadriel).
  • Pour le laethi, je songerai au Seigneur Aragorn, au Capitaine Faramir ou son frère Boromir pour me servir d’interprète ; ou Maître Gimli, pourquoi pas ?

Ce sont les personnages du Seigneur des anneaux ou du Hobbit de J.R.R. Tolkien, mais évidemment vous pouvez en imaginer d'autres.

Conclusion

Voici donc une méthode pour créer une langue. Ce n’est peut-être pas un article révolutionnaire ; mais au moins vous savez maintenant par où commencer. Ne vous précipitez pas, une chose à la fois. Un langage ne se fait pas en un jour.

 

Merci d'avoir lu ce dossier jusqu'au bout. Il ne me reste plus qu'à vous souhaiter bon courage pour la création de votre langue.

Date de dernière mise à jour : 2023-04-21

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