Chapitre 3 - Faiblesses

Chap 3 faiblesses

Enliana et Minos rejoignirent la cinquième prison. Des tombes ouvertes et brûlantes punissaient ceux qui n’avaient pas suivi l’enseignement de leurs dieux.  Les squelettes hurlaient de douleurs, cherchant à sortir de leur caveau mais ils retombaient sans cesse dedans. On aurait cru voir des zombies cherchant à décamper inlassablement. Elle suivit Minos de très près tout en voyant ce sinistre spectacle d’un triste regard et quelques frissons lui parcouraient la peau rien qu’à l’écoute de ces cris. Décidément plus ils allaient dans ces lieux et pire le spectacle devenait. Et ces prisons qui paraissaient longues, interminables. Enliana aurait  bien voulu se blottir contre le juge, mais elle ne pouvait pas se rabaisser une telle conduite. Quelle honte se serait pour elle, et sans compter sa réaction. Être repoussée, même par lui, la demi-elfe ne le voulait pas. Elle se sentait suffisamment mise à l’écart par les autres clans, pas la peine de provoquer des souffrances inutiles.

 

Rejetée, oui c’est ainsi qu’elle se sentait constamment. Elle n’était pas de sang pur donc les elfes ne faisaient que tolérer sa présence. Jamais un un membre de ce peuple n’aurait l’idée de s’unir à elle. Quant aux humains, le problème se posait sur la longévité d’Enliana. Elle avait un âge avancé et pourtant elle était encore une belle jeune femme. Un homme ne voudrait pas vieillir près d’elle alors que le temps semblait l’épargner. Difficile de trouver sa place lorsqu’on ne fait partie d’aucun clan. Oh ! Et ces lamentations étaient toujours aussi insupportables. Comment peut-on vivre dans un pareil endroit ? Plus tard le juge et sa prisonnière parvinrent à un grand couloir. Le calme était à nouveau maître, mais pour combien de temps ?

 

« Ce lieu est bien sombre par rapport aux autres.

— Je te félicite, tu n’as pas encore tenté de t’enfuir.

— M'enfuir ? Et pour aller où ? Je ne connais rien ici.

— Seulement pour échapper à ma vigilance. Ou au moins essayer. Je t’aurais pourchassé après parce que je ne peux pas te laisser vagabonder. Ça aurait mis de l’action, une petite course poursuite dans les enfers.

— Et si je me fais attaquer par je-ne-sais-quoi ?

— Tu as bien un petit pouvoir pour te protéger, non ?

Enliana comprit vite que le juge voulait en connaître davantage sur ses dons. Il cherchait à savoir comment la contrer si jamais elle tentait quoi que ce soit.

— Vous ne voulez pas faire trop patienter votre supérieure, n’est-ce pas ?

— Pandore n’attend pas ma visite. Nous avons le temps d’arriver. Sauf si tu as trop peur de t’aventurer dans ce labyrinthe.

— C’est un labyrinthe ?

Mais on voyait la sortie de l’autre côté. Non ce n’était pas un dédale, il devait se tromper. Le vieil homme débloquait à coup sûr. Elle s’avança en fixant l’horizon, seulement au bout d’un moment une barrière la propulsa en arrière. Mais qu’est-ce que ? Elle regarda le juge qui arbora un grand sourire sadique. C’est que cette barrière faisait mal quand elle repoussait quelqu’un.

— Il y a un chemin à prendre ma belle. En effet tu vois la sortie mais elle n’est pas aussi facile d’accès. Il ne faut pas rêver.

— Et vous ne pouviez pas le dire plus tôt ?! Pourquoi m’avez-vous laissée y aller ?

— Pour te voir faire un vol plané, quelle question. Suis-moi et ne t’éloigne pas trop sinon tu te perdras. Je peux te tenir la main si l’endroit t’effraie. Il fait sombre à l’intérieur.

— L’obscurité ne me cause aucun problème ! Cela m’étonne qu’un vieil homme puisse encore s’y retrouver là-dedans. Vous n’êtes pas aussi sénile que je le croyais.

— Tu crois toujours que je suis vieux ?! s’énerva-t-il en s’avançant vers elle.

Elle recula contre le mur, il plaqua ses mains autour d’elle pour l’empêcher de fuir.

— Vous ne m’avez toujours pas montré votre visage.

— Tu aimerais le voir ? Ma voix n’est pas suffisante pour te donner une idée de mon âge ?

— Vous n’aimez pas qu’on vous traite de vieux, s’amusa-t-elle. Vous êtes à combien pour gérer un tel endroit ?

— Cent-huit spectres.

— Cent-huit ? Je n’ai pas vu grand monde jusqu’à présent. Des spectres ? À quoi ils ressemblent chez vous ? J’ai lu des histoires où ils sont souvent représentés avec une grande cape noire qui cache leur allure squelettique.

— Tu en as un devant toi. Et pas un des moindres.

— Vous ? Un spectre ? Et vous ne voulez pas que je vous appelle le « vieux » ?

Le juge fut visiblement agacé par ses propos.

— Un spectre n’est pas nécessairement vieux ! Je suis jeune ! Je n’ai que vingt-trois ans ! Néanmoins, continua-t-il en la regardant dans les yeux, je soupçonne un p’tit quelque chose.

— Quoi donc ? demanda-t-elle en fixant la visière de son casque.

Elle voyait à peine les siens, tout juste un reflet de la lumière.

— Tu me provoques pour que j’enlève mon casque voire peut-être plus, petite coquine que tu es.

— Quoi ?! fit-elle scandalisée. Mais ça va pas la tête ?! Pour qui me prenez-vous ?!

— Tu ne veux vraiment pas que je négocie avec Pandore ? Cela pourrait t’éviter d’être noyée ou ébouillantée.

— Il vous manque vraiment une case vous. Faut vous faire soigner ! (Elle tenta de se dégager. Par-dessous les bras peut-être ? Non, quand elle s’abaissait il l’empêchait tout autant.) On a un labyrinthe à traverser, vous vous souvenez ? »

 

Le juge la fixa pendant un moment. Le sentiment de crainte qu’il procurait à Enliana le comblait au plus haut point. La demi-elfe se demandait pourquoi il tenait tant à l’épargner alors qu’il passait son temps à l’humilier ou à lui faire peur. « Mais ? Qu’est-ce qui te prend ? se dit-il. Tu es un spectre ! Enlève tes mains de là, retrouve ta cruauté et mène-la auprès de Pandore ! » Minos s’éloigna d’elle et poursuivit sa route. Il remarqua qu’Enliana ne bougeait pas alors il s’arrêta. Il tourna la tête sur sa gauche. « Tu as l’intention de rester plantée là ? Il ne faudrait pas que tu tombes sur un autre spectre. Lui ne t’épargnera peut-être pas ». La demoiselle ne se fit pas plus attendre. Elle rejoignit le juge et ils s’enfoncèrent ensemble dans le labyrinthe.

 

Enliana n’eut pas de mal à avancer dans le noir. Sa vision était faite pour s’adapter à ces conditions déplorables. Ils en sortirent bien plus tard. Minos avait espéré qu’elle tombe au fond d'un précipice mais son souhait ne fut pas exaucé. Toutefois ce qu’elle vit la fit reculer, se cognant contre le corps du juge. Des gens étaient ébouillantés, ils remontaient en surface le temps de crier de douleurs puis coulaient à nouveau et ainsi de suite. C’était ignoble. Enliana se pressait contre Minos, refusant d’avancer davantage, mais le juge l’y obligea. Elle se débattait, elle gesticulait tellement qu’elle finit par tomber, entraînant le juge dans sa chute.

 

« C’est la première vallée de la sixième prison, l’étang de sang bouillant. Rune a dit que tu avais été violente envers ton père. Il est possible que tu te retrouves ici, parmi eux.

— Non ! s’écria-t-elle. (Il faisait tellement chaud, elle transpirait et ses cheveux commençaient à devenir huileux. Elle était à la fois fatiguée et désespérée. Non, elle ne voulait pas se retrouver là. Pas au milieu de ces cris insupportables. Dans le labyrinthe c’était beaucoup plus calme et il faisait doux.) Comment vous faites pour tenir le coup dans un endroit pareil ?

Le juge souffla de l’air frais au niveau de son cou. Cette fois la demi-elfe apprécia d’être un peu rafraîchie.

— Nous avons l’habitude de ce lieu hostile.

— Pourquoi n’enlevez-vous pas votre casque ? Il doit faire une chaleur insoutenable sous cette armure.

— Nous devons nous tenir prêt pour une éventuelle attaque.

Ce long trajet l'avait déjà dépossédée de quelques forces, mais la chaleur épouvantable continuait à l'affaiblir.

— Qu’est-ce qu’on fait là ?

— On n’est pas obligé de s’aventurer parmi les étangs. Passons directement par la seconde vallée, celle des suicidés.

— Tout n’est que souffrance, on y voit que la mort. Il ne peut y avoir de vie ici. Comment pouvez-vous supporter cela ?

— Allez, arrête de dire des conneries et lève-toi. »

 

Enliana ne savait pas si elle allait avoir la force de se relever. Il se leva en l’entraînant dans son ascension. Elle tenait à peine debout ; elle s’effondra à nouveau. Minos l’avait retenue pour qu’elle ne tombe pas. Il l’avait soulevée une fois, il n’allait pas le refaire. Toutefois, il ne pouvait plus compter sur elle pour partir d’ici comme une grande. Il finit par la prendre dans ses bras avança vers la forêt infernale, celle qu’il aimait appeler la « forêt des suicidés ». Mais il n’allait la porter tout le long du chemin. Minos s’arrêta à la lisière du bois et secoua un peu Enliana. Non mais ? Elle s’était endormie ! Voilà autre chose ! Bon, au moins il ne l’entendait plus se plaindre de leur monde si effroyable à ses yeux. Il prit le sentier qui traversait la vallée. C’était le seul chemin sûr pour aller d’un bout à l’autre sans souci.

 

La marche parfois hasardeuse du juge, afin de ne pas trébucher, finit par réveiller Enliana. Elle leva les paupières et vit que son bras gauche avait été passé par-dessus l’épaule du spectre. Elle se reposait dans ses bras ? Son regard fixa les lèvres de l’homme. Finalement, sa peau ne portait aucun signe de vieillesse. Il disait avoir vingt-trois ans ? Un homme bien jeune par rapport à elle. Enliana avait dépassé les soixante ans. Mais pour une demi-elfe, c’était encore très jeune. Elle pouvait presque apercevoir ses yeux. De quelle couleur étaient-ils ? Minos progressait dans la forêt lorsqu'il remarqua que la demoiselle était à nouveau consciente. Elle regardait autour d'elle. Le bois semblait sombre et froid, comme le labyrinthe.

 

« Eh bien je vois que tu es réveillée. Tu vas pouvoir marcher maintenant, lui dit le juge en la lâchant.

Enliana retomba lourdement sur le sol.

— Aïe ! Oh, niveau galanterie c'est vraiment zéro chez vous !

— Tu plaisantes ou quoi ? Je t'ai porté jusqu'ici ! J'aurais pu te trainer par les cheveux ! C'est ça rendre service à une femme ?! Quelle plaie ! Dépêchons-nous d'arriver à Giudecca avant que je ne t'étouffe avec mes liens ! (Minos poursuivit sa route. Mais Enliana décida de prendre un autre chemin. Elle courut le plus vite possible à travers le bois.) Non ! Ne sors pas du sentier ! Enliana !
Le juge partit à sa recherche. Elle avait vachement bien récupéré en si peu de temps. Se serait-elle moquée de lui tout à l'heure ? Non elle se tenait debout, là parmi les pendus capuchonnés. Elle ne bougeait plus. Le juge se posta juste derrière elle.

— Ce n'est pas très prudent de t'aventurer comme ça dans ces bois.

La seule réaction qu'elle eut était de se tourner vers lui et se plaquer de façon à cacher sa face. Néanmoins le juge eut le temps de voir ses larmes.

— Des enfants... Des enfants ne devraient pas se trouver là. Ce n'est pas normal. Pourquoi des enfants passent-ils par là ? Ça ne devrait pas être.

— Les enfers accueillent des gens de tout âge selon leurs péchés. Ne devons y aller maintenant. Ne t'écarte pas du sentier. »

 

Enliana suivit Minos sans discuter, sous le regard d’un autre spectre aux cheveux bordeaux. Queen était le gardien de cette sombre vallée sylvestre. Mais ayant vu que le juge s’occupait de l’intrus, il était resté à l'écart. Drôle de captive, elle avait des oreilles en pointe. Depuis qu'elle avait vu cet enfant pendu à l'arbre, la jeune femme était devenue très calme. Même lors de la traversée du désert elle resta muette. Minos lui annonça que dans cette vallée, ceux qui avaient abusé de plaisirs malsains y étaient jetés. La demi-elfe resta passive, résolue à le suivre sans plus de bavardage. De toute façon, la chaleur l’avait à nouveau éreintée. En fin de compte, ce calme devait sûrement plaire à son guide. Non, elle était devenue beaucoup trop sage à son goût. Et lui qui voulait savoir comment elle allait s’y prendre pour faire péter un boulon à Rhadamanthe. Cela aurait été tellement drôle à voir. Il fallait absolument trouver un moyen pour qu’elle retrouve son enthousiasme de départ. Le juge comptait encore s’amuser un peu.

Date de dernière mise à jour : 2020-08-18

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