Extrait du roman

Je vous mets ici un extrait s'étandant sur quatre chapitres de mon premier roman. J'espère que cela vous donnera envie d'en savoir plus.

Chapitre 1 - Soriys ----------------------------------- p.1

Chapitre 2 - Une famille brisée ----------------------- p.2

Chapitre 3 - Un destin gravé -------------------------- p.3

Chapitre 4 - Le déshonneur ---------------------------- p.4

 

Bonne lecture ! :)

Chapitre 1 - Soriys

Bienvenue dans le royaume paisible de Placida. Si vous ne connaissez pas ce royaume, ce qui doit être forcément le cas, alors laissez-moi vous guider à travers lui.

Nous nous trouvons à l’époque médiévale, en l’an 502, où Placida n’était encore qu’une île située en plein milieu de l’océan dans un monde lointain. C’était un lieu au climat tempéré avec les quatre saisons, qu’elles soient favorables ou hostiles. Cette contrée n’était qu’une terre isolée, inconnue de tous. Les seuls habitants étaient des animaux qui menaient une vie bien tranquille. Puis un jour, un capitaine nommé Soriys arriva à bord d’un vaisseau (1) avec ses hommes. Le navire venait du nord-est. Le vent frais et sifflant faisait danser ses cheveux bruns ondulés. Son visage était rond avec des yeux bleus qui ressortaient de sa peau blanche. Il avait un nez en trompette, des petites lèvres et un menton saillant garni d’une barbe bien entretenue qui descendait jusqu’à son torse. Il était grand et sa voix était virile. Sa tunique rouge et ses sandales laissaient penser qu’il venait d’un endroit assez chaud.


Le capitaine finit par jeter l’ancre et se rendit en chaloupe sur la côte. Il descendit de l’embarcation, accompagné de ses hommes, afin d’explorer cette terre nouvelle. Les hommes marchèrent pendant plusieurs heures, plusieurs jours sur l’île. Ils découvrirent que cet endroit possédait de très bonnes ressources comme des carrières de marbre, de granit, des pommiers, des oliviers, des sources d’eau douce et aussi des terres fertiles. Au centre de l’île, il y avait une grande forêt qui abritait bon nombre d’animaux ; en particulier des sangliers, des cerfs et des lièvres. En son centre, les hommes remarquèrent une petite clairière avec au milieu un rocher plat et ovale. Vu du ciel, l’île ressemblait à un oeil vert.


Les hommes poursuivirent leur exploration. Il leur fallut environ plusieurs semaines pour tout explorer. Ceci s’expliquait par les nombreux arrêts pour la nuit et aussi pour examiner ce qui se trouvait sur les lieux. Heureusement il y avait de la nourriture et de l’eau sur cette île pour remplir les gourdes.
— C’est un endroit très paisible. Il fait bon y vivre. Nous l’appellerons Placida, conclut le capitaine Soriys. Allons chercher le reste des nôtres, ordonna-t-il ensuite. Nous ne serons plus nomades désormais. Nous avons trouvé un endroit où vivre à l’abri de toute menace.
— Père, cette île n’est pas sur nos cartes, remarqua Timilas.
Timilas était le fils de Soriys. Il avait neuf ans et ressemblait déjà fortement à son père ; à quelques exceptions près. Il avait des yeux marron, le visage fin et il portait une tunique verte.
— Non mon fils. Mais ne t’inquiète pas. Si elle n’est pas sur la carte, cela signifie que nous sommes les premiers à y mettre les pieds. Timilas, j’aurai besoin de ton aide pour superviser la construction de notre cité. Nous l’appellerons Soriys.
— Oui père.
Un sourire s’afficha sur le visage du capitaine. Son fils était sa fierté. Quelques semaines plus tard, les hommes revinrent sur Placida avec leurs femmes et leurs enfants. Plusieurs voyages étaient nécessaires pour amener tout le monde. Les premières tâches furent de monter les tentes et de trouver de la nourriture. Leurs réserves s’étaient presque épuisées durant le voyage en mer. Environ cent personnes venaient d’accoster sur l’île. La vue à l’horizon était très belle. Derrière l’étendue de la plage, on pouvait apercevoir les plaines sauvages et verdoyantes. Mais à quoi ressemblaient nos gens ? D’où venaient-ils ? En fait, difficile de vous le dire parce qu’ils n’avaient fait que voyager à travers les terres. Ils s’étaient déplacés en espérant trouver un lieu qui pouvait les accueillir. Certains avaient la peau blanche, d’autres la peau noire et encore d’autres le teint un peu bronzé. Les hommes portaient des tuniques qui descendaient au-dessus des genoux. Les femmes étaient vêtues d’une longue robe qui se prolongeait jusqu’aux chevilles. Ces gens s’étaient rencontrés lors des voyages et certains les avaient rejoints car ils n’avaient nulle part où se loger. Toutefois ces gens ne pouvaient pas vivre indéfiniment dans des tentes rudimentaires près d’une source d’eau douce. Lors de leur exploration, Soriys et ses hommes avaient repéré des carrières de marbre et de granit. Ils façonnèrent donc des gros blocs pour les constructions. Ils taillèrent également des pierres dans la roche des montagnes pour ne pas épuiser trop vite leurs ressources naturelles. Ils durent couper du bois pour fabriquer des charrues solides. Par conséquent, la cité avait mis beaucoup de temps pour se développer car les carrières étaient loin du campement. Les hommes s’occupaient de la construction de la cité, de la chasse et de l’agriculture.
Les femmes se contentaient de suivre les directives de leur mari. Elles s’occuperaient des enfants, du ménage et de la cuisine parce que les hommes avaient un monde à bâtir.


Quelques années passèrent doucement avant que s’élève la première cité du royaume de Placida. Les hommes apprirent beaucoup de choses dans le domaine de l’architecture et de la médecine. Aussi durant ces années, trois hommes en toge avec une barbe blanche assez longue, étaient apparus de nulle part. La toge de Theodorus était blanche, celle d’Indros était bleue et celle de Lucian était verte. Ils avaient tous les trois une voix rocailleuse. Cela avait pu s’entendre lorsqu’ils saluèrent le roi en arrivant au palais. C’était une très grande bâtisse en pierres blanches avec deux grosses colonnes à la porte d’entrée et de beaux jardins dans la cour principale. Néanmoins Soriys, bien assis sur son siège royal, ne les vit pas d’un bon oeil parce qu’il ignorait leur origine. Qui étaient-ils ? Et d’où venaient-ils ?
— Je suis Theodorus, dit le premier au crâne un peu dégarni. Je suis un expert en médecine et en sciences. Il m’arrive aussi de prévoir le temps. Vos médecins utilisent des moyens primitifs.
Je pourrais peut-être leur faire bénéficier de mon savoir.
— Mon nom est Indros et je sais ce qui est juste et logique.
Je pourrais vous conseiller lors de vos prochaines décisions, ajouta le second aux cheveux courts.
— Je me nomme Lucian et je connais la nature. Je pourrais vous en apprendre davantage sur elle pour de meilleures récoltes, fit le dernier aux cheveux longs.
— Vous me semblez bien prétentieux. Qu’êtes-vous donc pour venir nous importuner comme cela ? Nous ignorons d’où vous venez et ce que vous nous voulez ! s’exclama le roi dubitatif.
— Nous venons d’un monde fort lointain. Et nous aimerions vous conseiller et vous soutenir, répondit calmement Theodorus.
— Nous avons bâti cette cité sans vous. Votre aide nous est donc inutile, riposta Soriys.
— Oui c’est vrai que vu comme cela, il est logique que vous soyez réticent, confirma Indros. Mais nous permettez-vous au moins de rester sur votre île ?
Le roi Soriys réfléchit quelques minutes. Trois personnes de plus sur son île ne le dérangeait pas plus que cela ; du moment qu’ils ne semaient aucun trouble dans la cité. Et puis, il ne pouvait pas chasser trois vieillards qui proposaient leur appui.
— C’est d’accord à condition que vous vous pliiez à nos règles, décida Soriys.
— Nous vous remercions grandement Roi Soriys, dit Lucian.
— Voulez-vous qu’on vous construise une chaumière ? demanda le roi.
— Non, ne vous donnez pas cette peine. Nous saurons nous débrouiller, répondit Theodorus.
— Vous êtes certain ? s’étonna le roi en écarquillant ses yeux.
— Oui, confirma le vieil homme. Nous vous remercions.
— Soit.
Ce fut l’entretien qu’ils eurent à cette époque. Mais il y avait une personne, dissimulée dans l’ombre, qui n’appréciait pas la venue de ces trois hommes. Il s’agissait de Vorn, le seul sorcier et professeur de médecine de Placida. C’était un homme de grande taille et mince. Il avait les cheveux grisonnants et mi-longs.  Son visage était creusé, il avait des yeux sombres, un nez crochu, des grosses lèvres rouges, un menton en galoche avec une barbe grisâtre. Il était vêtu d’une tunique marron qui descendait jusqu’à ses pieds. Ses sandales étaient de la même couleur que son vêtement. Vorn s’appuyait sur son grand bâton lorsqu’il marchait parce que sa hanche gauche l’handicapait. Cela se voyait quand il marchait, il boitait. Vorn s’était senti insulté par ces trois hommes. Le rôle du sorcier était aussi de conseiller le roi et ce fut la raison pour laquelle le souverain refusa l’aide des Sages. Oui, les Sages. C’était le titre que les gens leur avaient donné. Tous les citoyens savaient que ces trois hommes voulaient aider le peuple. Par conséquent, certains préféraient se tourner vers eux plutôt que vers Vorn. En effet, le sorcier ne servait pas uniquement le roi mais aussi les soriyssiens. Cependant, c’était un homme amer tandis que les Sages inspiraient la sympathie. Et souvent, les habitants étaient satisfaits de leurs consultations chez eux. Des médecins apprentis, des hommes et surtout des femmes avec leurs enfants venaient demander des conseils de tous genres auprès d’eux. Entre-temps, le sorcier rechignait dans son coin, vert de jalousie.


Quelques mois plus tard, Vorn décida de s’entretenir avec le roi dans la salle du trône afin de lui faire part de son problème. Deux gardes étaient postés à la porte d’entrée.
— Je ne vois pas en quoi ces hommes vous dérangent Vorn. Ils n’ont jamais manqué de respect envers nous jusqu’à présent. À moins que vous ayez une raison valable qui expliquerait leur renvoi ? demanda le roi.
— Eh bien pour ma part, je n’ai aucune confiance en eux.
Ils aident les citoyens de votre propre cité. Ils désobéissent à vos ordres ! répondit le sorcier de sa voix grave.
— Il est vrai qu’il y a quelque temps j’ai refusé leur aide. Mais si les citoyens se tournent vers eux, c’est qu’ils y trouvent bon compte. Vous n’avez pas à vous sentir blessé.
Appuyé sur son bâton, Vorn commençait à s’impatienter.
Il balaya la salle du regard tout en grommelant. Il chercha un nouvel argument. Et lorsque celui-ci fut trouvé, il se tourna à nouveau vers le roi.
— Ils conseillent vos citoyens pour le moment, c’est certain. Mais qu’est-ce qui vous prouve qu’ils sont sincères ? Nous ne savons toujours pas d’où ils viennent. Leur réponse à ce sujet n’a été que très vague. Ils pourraient monter les gens contre vous ! argumenta le sorcier.
— Et quel serait l’intérêt pour eux ? questionna le roi.
— Je l’ignore mais je persiste à dire que nous devons nous méfier de ces étrangers !
— Je crois plutôt que vous êtes inquiet pour votre avenir, reprit Soriys. Le roi se leva de son trône, s’approcha de Vorn et posa amicalement sa main sur son épaule. Allons mon ami, n’ayez aucune crainte. Vous ne risquez pas votre poste.
À la fin de cette conversation, le roi retourna à ses occupations. Vorn concentra sa colère au fond de lui pour ne rien laisser paraître. Sa tactique n’avait pas fonctionné. Puisque le roi ne tenait pas compte de sa requête alors il n’était pas digne d’être souverain ! Mais la vengeance est un plat qui se mange froid. Et peut-être que Vorn pourrait avoir plus qu’un simple renvoi des Sages.
Il devait voir plus haut que cela ; il pourrait avoir le trône de Soriys. Mais il lui fallait un bon plan qui le garderait de tout soupçon. On ne tue pas un roi comme on tue un malfrat. De plus, Vorn venait d’avoir son entretien avec le souverain devant des témoins donc il serait vite accusé. Non, il était préférable de se faire oublier pour l’instant. Le sorcier agira plus tard.


Pendant ce temps en ces jours paisibles, la cité devenait de plus en plus prospère. D’autres petites villes furent construites par des citoyens en recherche de tranquillité et désirant s’éloigner un peu plus de la cité mère. Ils pourraient ainsi exploiter plus facilement les ressources en blocs de pierres, de marbre et de granit ; et aussi implanter des fermes de blé et de salades. La cité de Soriys et les villes avoisinantes avaient même des troupeaux de moutons à leur disposition pour avoir de la laine. C’était une belle évolution qui s’étendait sous les yeux du roi. Il en était très fier. Les villes furent construites près des cours d’eau car la terre y était plus fertile. Les récoltes étaient plus abondantes. Placida évoluait grâce aux conseils que les Sages donnaient aux résidents. Toutefois, au sud-ouest de cette grande île, plus loin à l’horizon de l’autre côté de la mer, on pouvait apercevoir également des terres plus hostiles. Les explorateurs n’avaient pas jugé bon de continuer dans cette direction parce que l’endroit semblait affreusement désertique. Et puis l’île était déjà bien assez grande.


Au fil des années le fils du roi, Timilas, se maria avec Télia. C’était une femme âgée de dix-neuf ans, rousse aux cheveux attachés en beau chignon. Elle avait un visage fin, les yeux verts émeraude, un petit nez en trompette, des lèvres roses et un menton en arrière. Elle portait souvent une robe vert émeraude qui la mettait bien en valeur. Télia était une femme très souriante et très chaleureuse. Mais le mariage avec cette femme n’avait pas permis à Timilas d’accéder au trône de Soriys puisque son père vivait encore. Aussi le jeune prince n’avait que trop d’estime pour son père pour tenter de prendre sa place. Le principal pour le prince était d’être entre homme, père et fils. Leur complicité était inébranlable. Quelques mois après le mariage de Timilas et de Télia, le couple donna naissance à leur première fille. Les parents l’avaient appelé Daria. De longs cheveux châtains et lisses entouraient le visage de la jolie petite fille. Elle avait le teint frais, un visage fin, des yeux marron comme son père, des petites lèvres roses et le menton en arrière comme sa mère. Télia allait régulièrement consulter les Sages pour son premier enfant. Theodorus lui donnait de très bons conseils pour soigner ses petites maladies et ses écorchures. Il lui arrivait même de préparer des remèdes lorsqu’il jugeait que cela était nécessaire. Ceci raviva la colère du sorcier. Daria eut ensuite des petites soeurs aussi mignonnes les unes que les autres. Certaines étaient très joueuses et aimaient grimper dans les arbres. D’autres étaient plus calmes et préféraient jouer avec leurs poupées de chiffon. Daria était la plus intrépide des six filles et une des plus espiègles.


Toutefois, les beaux jours furent chamboulés par un moment tragique. En 529, le vieux roi Soriys tomba gravement malade. Timilas ne savait pas par quel moyen le soigner. Alarmée, Télia consulta une nouvelle fois les Sages. Elle était accompagnée de sa fille Daria qui n’avait que sept ans à l’époque. Ses soeurs étaient parties jouer dans les jardins du palais. Télia expliqua les symptômes du roi à Theodorus. Il se précipita dans son petit laboratoire pour concocter un remède le plus vite possible. Il s’agissait d’une angine de poitrine donc il fallait le traitement approprié. Lorsque la préparation fut terminée, il la transvasa dans une grosse fiole puis la remit entre les mains de la jeune rousse.
— Tenez Télia. Avec ce remède, le roi devrait se remettre sur pied en quelques jours. Faites-le un peu bouillir. Le roi doit le boire chaud. Froid, cela risque de ne pas être très bon. Il doit en prendre une tasse par jour. J’en préparerais encore s’il le faut. Ah ! Et aussi fermez bien le récipient pour le conserver assez longtemps et mettez-le dans un endroit frais. Si ces conditions sont respectées, vous pourrez garder ce breuvage pendant environ une semaine, expliqua le sage.
— Merci Theodorus, fit la jeune femme reconnaissante. Encore une fois vous m’avez bien aidé.
— Je vous en prie. Cela me fait plaisir.
Télia salua les trois Sages et sortit de leur logis. Elle retourna au palais sans se douter qu’elle était suivie. Le sorcier l’épiait de loin pour qu’elle ne remarque pas sa présence. Télia se dirigea vers la cuisine du palais en plein après-midi. La pièce était déserte lorsqu’elle entra. Elle alluma un petit feu et fit réchauffer une ration du remède dans une petite casserole. Soudain elle dut s’éloigner quelques instants parce que la malicieuse Daria faisait des bêtises : cueillir les fleurs du jardin royal avec Myrsine, sa petite soeur deux ans plus jeune qu’elle. Télia prit ensuite le remède réchauffé, le versa dans une coupe puis le porta dans la chambre du roi où ce dernier se reposait. Le souverain se redressa difficilement sur son lit même avec l’aide de son fils Timilas.
— Cela devrait vous soigner mon roi, expliqua-t-elle d’une voix rassurante.
— Merci Télia. Vous êtes une brave femme, répondit Soriys de sa voix cassée.
Le roi prit la coupe.
— Faites attention. Je viens de le réchauffer, c’est chaud.
Soriys but le remède avec précaution puis rendit la coupe.
— Le sage Theodorus m’a dit que vous serez guéri dans quelques jours, ajouta la jeune femme.
— Merci ma douce, exprima Timilas les yeux pleins d’amour.
— Je vais me reposer maintenant.
Le roi se rallongea puis ferma les yeux. Il avait l’air tellement fatigué. Télia et Timilas sortirent donc de la chambre. Le jeune prince était rassuré de savoir que son père allait vite se remettre de sa maladie. Plus tard dans la soirée, la mère demanda à ses filles d’aller se coucher. Alors elles montèrent dans leur chambre et se couchèrent comme des filles bien obéissantes. Daria demanda à sa mère si son grand-père allait guérir. Télia la rassura en lui disant que le roi avait pris son remède et qu’il irait mieux dans peu de temps. Ensuite elle lui embrassa le front, fit de même avec Myrsine puis elle sortit de la chambre.

L’île de Placida était voûtée d’un magnifique ciel étoilé. Mais le lendemain matin lorsque Timilas vint voir son père, ce fut avec horreur qu’il le découvrit mort dans son lit. Des taches sur ses draps montraient que le roi avait régurgité par nuit et une odeur nauséabonde annonçait qu’il avait déféqué. Comment cela était-il possible ? La fureur monta sérieusement en lui. Le jeune prince hurla le nom de sa femme dans tout le palais pour qu’elle vienne dans l’immédiat. Il ordonna à ses hommes d’aller chercher sa femme puis il retourna dans la chambre de son père. Télia arriva rapidement accompagnée des gardes. Elle entra avec eux dans la chambre du roi.
— Que se passe-t-il mon cher ? demanda la femme affolée.
— Épargne-moi ton hypocrisie sale vipère ! cria furieusement Timilas, le visage haineux.
— Mais qu’est-ce que cela signifie ? ! Qu’est-il arrivé au roi ? demanda Télia en regardant le lit souillé.
— Tu l’as tué avec ton remède ! C’était en réalité un poison ! Gardes !! cria Timilas.
— Oui Monseigneur ? demanda l’un.
— Jetez cette sorcière aux fers !! Elle sera exécutée cet après-midi ! ordonna le prince furieux.
— Sans le moindre procès Altesse ? demanda le garde.
— Obéissez à mes ordres ! Les traîtresses n’ont nul besoin de procès !
— Bien Monseigneur, répondit-il visiblement choqué par cette nouvelle. Il attrapa délicatement le bras de Télia pour l’emmener. Le garde trouvait que la décision du prince était bien précipitée. Néanmoins il ne pouvait rien y faire.
— Timilas, je te jure que je n’y suis pour rien ! insista Télia.
— Emmenez-la loin de moi !! cria le prince avec un geste de rejet.
— Timilas ! Je t’en prie, écoute-moi !
Le prince ignora la femme désespérée. Les gardes prirent Télia par les bras pour l’emmener en prison. Ils traversèrent la ville. Les gens les regardèrent, ne comprenant pas ce que les gardes faisaient. Les regards étaient insoutenables pour Télia. Certains étaient interrogateurs tandis que d’autres la jugeaient déjà sans savoir. Les gardes et la détenue arrivèrent à la prison. Ils ouvrirent la porte et entrèrent avec elle. Ils parcoururent les couloirs sombres et l’un des gardes ouvrit une cellule.
— Entrez, ordonna-t-il calmement.
Télia entra dans la cellule, le visage triste et le coeur très lourd. Le garde referma la porte à clef puis il s’en alla avec son collègue. La mère s’assit sur le banc de la cellule, les yeux larmoyants.
Elle mit ses mains devant ses yeux et fondit en larmes. Elle seule savait qu’elle n’était pas coupable.
— Je vous en prie Gliddry père de tous les dieux, faites-lui entendre raison, pria-t-elle accablée par cette injustice. Ne les laissez pas exécuter une innocente.
La pauvre femme finit par sangloter. Les nombreuses contractions provoquées par ses pleurs lui faisaient mal au ventre et sa gorge était tiraillée par son chagrin. Non loin de la cité Soriys, un temple somptueux abritait les dieux. Il était situé en plein milieu de cette terre paisible. Seulement, ce temple était invisible et impalpable par les mortels. Pourtant il était bien présent. Elle avait un style gallo-romain avec ses magnifiques colonnades. Les divinités pouvaient voir tout ce qui se passait sur l’île grâce à une sphère qui dégageait une lumière bleue. Cette sphère ne disposait d’aucun socle. Elle était assez grosse et survolait une table rectangulaire en marbre blanc. C’était dans cette pièce que les dieux se réunissaient la plupart du temps. Gliddry avait entendu l’appel de Télia. C’était un grand homme un peu enrobé avec des cheveux bruns courts et bouclés. Il avait le visage rond, des yeux noisette, un gros nez, des lèvres généreuses et une belle petite barbe qui cachait son menton en arrière. Il était vêtu d’une longue toge blanche avec une ceinture marron à boucle dorée. Sa femme, Elydda, était avec lui en train de fixer la sphère. Elle était blonde aux cheveux longs et bouclés, un visage fin, des yeux bleus, un petit nez, des lèvres roses et un menton saillant. Elle avait un tempérament assez calme et chaleureux. À la vue de cette femme en détresse, elle posa une question à son époux.
— Que vas-tu faire Gliddry ?
— À mon grand regret je ne peux rien faire Elydda, répondit Gliddry en regardant tristement la sphère.
— Cette jeune femme est innocente. Tu ne peux pas laisser faire une telle injustice, insista Elydda.
— Je ne peux protéger une de tes filles parce que son destin est tracé, argumenta-t-il.
— Es-tu en train de me dire que sa mort est inévitable ?
— Oui Elydda, parce que sa fille sera amenée à accomplir une quête.
— Et sa mère ne peut vraiment pas échapper à cette mort ?
Gliddry posa son regard sur sa femme.
— Non. Sans cela Daria ne deviendra qu’une simple femme comme ses soeurs. Et je ne peux t’en dire plus… Je sais que ton coeur est empli de tristesse et crois-moi, cela m’attriste aussi.
— Si tu ne peux rien y faire alors soit, ajouta-t-elle en baissant les yeux. Elle ne comprenait pas pourquoi une telle injustice arriva après une vie si sereine.
— Tu m’en veux ? demanda le père des dieux.
— Non, répondit la mère. Je suis juste navrée pour cette femme.
— Moi aussi.

 

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(1) Navire.

Chapitre 2 - Une famille brisée

La rumeur circula très vite dans la cité de Soriys. Tout le monde supposait un éventuel meurtre. Mais les citoyens étaient encore dans l’incertitude. Qui avait été tué ? Et comment ? Dans l’après-midi, le peuple se rassembla sur la grande place, sur ordre du prince Timilas. Une grosse souche avait été placée au centre. Les gens ne comprenaient pas. Le prince arriva sur son cheval brun avec ses hommes. Il leva le bras pour faire arrêter les chevaux sur la place. Puis il parla à son peuple.
— Citoyens de Soriys ! Un crime a été commis cette nuit par une femme que je croyais fidèle envers nous ! Le peuple resta indifférent. Il savait déjà qu’un drame était arrivé et il attendait plus de précisions. Le roi est mort ! s’écria-t-il.
Timilas vit les yeux des citoyens s’écarquiller. Des murmures se firent entendre, des gens s’interrogeaient tandis que d’autres montraient déjà des signes de colère. Soudain, une femme aux poignets enchaînés fut traînée par les gardes jusqu’à la grande place.
— Télia, tu seras exécutée aujourd’hui même !! J’ignorais que tu détestais mon père au point de vouloir sa mort !! affirma le prince.
— Ce n’est pas moi qui l’ai tué, je te le jure !! s’écria-t-elle, abattue.
— C’est toi qui lui as porté le remède des Sages !! Bourreau !! hurla-t-il.
— Oui Monseigneur, fit l’homme cagoulé.
— Fais ton office !! ordonna vivement le prince.
— À vos ordres !
Les gardes noyèrent la tête de Télia dans un sac pendant que le peuple contestait. Le prince ne pouvait pas faire exécuter sa femme sans lui faire un procès. Des gardes empêchaient les paysans d’approcher de la prisonnière. Timilas savait que certains s’opposeraient à sa décision car Télia était très appréciée des soriyssiens. Les gardes mirent l’accusée à genoux face à la souche puis la forcèrent à se dresser au-dessus. Le bourreau, qui se tenait à côté d’elle, leva sa hache bien affûtée et la laissa choir sur sa victime. Le prince regarda la tête, encore dans le sac, rouler jusqu’aux pieds des citoyens situés au premier rang. Ceux-ci reculèrent d’un pas ou deux avec un air horrifié sur le visage. L’âme de Télia était désormais entre les mains d’Onoïn, le dieu des morts. Comment le prince avait-il pu faire une chose pareille ? Lui qui était si bienveillant envers les autres. Le sang coula sur la souche puis le corps de Télia tomba au sol.
— Voilà ce qui arrive à ceux qui osent se retourner contre la couronne ! Je m’en vais, de ce pas, rédiger de nouveaux textes de loi ! Et soyez certains que les femmes seront punies pour leur perfidie !
Le prince entendit la foule vociférer, en particulier les femmes. Alors il haussa le ton.
— Silence !! J’interdis aussi quiconque d’aller voir les Sages ! Je me chargerai de leur sort plus tard !
Puis le prince retourna au palais, le visage plein de rancoeur. Lorsqu’il rentra, ce fut le joli minois de Daria qu’il vit en premier.
— Où est maman ? demanda innocemment la petite princesse.
— Ne te mêle pas de ça Daria ! Retourne dans ta chambre ! cria-t-il avec fureur. La voix du prince pouvait être effrayante lorsqu’il se mettait en colère.
— Mais je veux voir maman, reprit-elle un peu craintive.
— Daria, obéis à mes ordres !! Tu ne reverras plus jamais ta mère !!
La petite fille partit dans sa chambre en pleurant des larmes de crocodile. Le prince s’enferma dans son bureau, il prit sa plume et un parchemin. Il était décidé, il sera sans pitié envers les femmes. Ils les voyaient désormais comme des traîtresses, des vipères. Mausina avait vu sa soeur courir vers sa chambre, tout en larmes. Elle appela son autre grande soeur, Myrsine, pour la prévenir.
La petite fille rousse rassura sa petite soeur puis partit rejoindre Daria. La pauvre fillette était assise sur son lit aux draps blancs en train de sangloter. Myrsine s’assit près d’elle et lui demanda ce qui lui causait autant de chagrin.
— Père m’a… grondé… très fort, expliqua-t-elle péniblement entre deux sanglots.
— Tu as fait une bêtise ?
— Non, je voulais juste… voir maman. Mais il a dit… qu’on ne la re… reverrait plus… jamais.
Myrsine ne savait plus quoi répondre. Il lui était difficile de remonter le moral de sa soeur car elle-même ressentait une étrange impression. Un noeud oppressant s’était formé au niveau de l’estomac et elle s’empêchait de pleurer à son tour. C’était une situation que Myrsine n’avait jamais connue auparavant.


L’écriture des textes avait pris deux bons mois. Pourquoi deux mois ? Parce que Timilas était trop énervé pour écrire. Sa rage était si grande qu’il commit quelques fautes. Une fois les lois écrites, il se rendit sur la grande place afin de lire au peuple les nouvelles règles de vie. Tout était fait pour limiter les droits des femmes. La femme devait le respect à son mari car c’était lui qui faisait vivre la famille. Les hommes avaient le droit d’être polygames s’ils le désiraient. La femme ne prendrait plus aucune décision et même ses déplacements étaient restreints. Elle pouvait sortir uniquement pour faire le marché. Le reste, ce serait l’affaire de l’homme. Aussi les femmes n’avaient plus le droit de parole. Et si jamais un homme levait la main sur elle ? Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était de garder le silence car aucune mesure ne serait prise contre le mari violent. En bref, la femme était descendue au rang d’esclave. Ces nouvelles lois arrangeaient bien certains hommes, surtout les plus volages. Et pendant ce temps, un sorcier était en train de se réjouir. Mais il n’en avait pas encore fini. Le premier roi de Soriys était écarté, certes mais désormais ce fut Timilas qui porta légitimement la couronne. Et si l’ancien roi se faisait vieux, le nouveau roi était âgé de trente-six ans seulement. Il faudra être plus prudent cette fois. Lorsque Timilas revint au palais, une voix grave arrêta le chemin du nouveau souverain. Aussi, bien cachée derrière des colonnes, une petite paire d’yeux espionnait les deux hommes. Daria se faisait la plus discrète possible. Ses soeurs passaient leur temps à jouer, c’était leur échappatoire. Mais Daria voulait savoir ce qui était arrivé à leur mère. Elle refusait de croire qu’elle les avait abandonnées. Alors depuis un certain temps, elle avait pris l’habitude d’espionner son père. Elle tendit l’oreille et suivit la conversation entre les deux hommes.
— Bien le bonjour mon roi, commença le sorcier d’une mine ravie.
— Oh, bonjour Vorn, répondit amèrement Timilas.
— Vous avez bien fait de prendre ces mesures.
Le roi regarda le sorcier et esquissa un faux sourire tout en acquiesçant.
— Les femmes ne sont que du poison. Je ne comprends pas comment on peut vivre avec de telles créatures.
— Elles peuvent satisfaire certains de nos besoins, permettre la procréation et être fidèles… Enfin, c’est ce que je croyais, affirma le roi d’un air dépité.
— Oui mais c’est du passé maintenant, rassura le sorcier.
Vous devez avancer pour votre peuple.
— Vous avez raison.
Il y eut un silence. Les deux hommes regardaient la cité, plongés dans leurs pensées. Puis Vorn laissa une phrase lui échapper.
— C’est incroyable ce qu’un empoisonnement à l’arsenic peut avoir comme conséquences.
Le roi réfléchissait sur les propos divulgués par le sorcier. Puis il se rendit compte que quelque chose n’allait pas dans cette phrase. Alors il lui posa une question.
— Comment savez-vous que mon père a été empoisonné à l’arsenic ?
Vorn se rendit compte de son erreur et tenta de se défaire des soupçons du roi.
— Vous l’avez annoncé lors de l’exécution de Télia, justifia-t-il.
Le roi se tourna vers lui. Il devina que le sorcier était à l’origine du meurtre de son père.
— Il est vrai que j’ai parlé d’un remède qui aurait pu être empoisonné. Le ton de Timilas monta progressivement, traduisant une profonde colère. Mais je n’ai jamais parlé d’arsenic ! Gardes ! Arrêtez cet homme ! Tu seras exécuté dès maintenant, sale traître !
Le sorcier prit fermement son bâton de bois et se prépara à créer un champ de défense. Deux gardes s’approchèrent du sorcier. Vorn frappa son bâton deux fois au sol et très rapidement un bouclier vert transparent se forma autour de lui. Les gardes restèrent immobiles et regardèrent curieusement l’étrange bouclier. L’un d’eux frappa dessus avec son épée mais il fut brûlé sur-le-champ. Son corps fumant gisait sur le sol.
— Vous croyez pouvoir condamner à mort un sorcier comme un vulgaire être humain ? ! défia-t-il.
— J’ai fait tuer ma femme à cause de vous ! rétorqua le roi.
Daria passa de l’inquiétude à la consternation. Ses yeux s’humidifièrent d’un coup et sa gorge commença à tirailler.
— Oh quel dommage… Elle a agi sous mes ordres ! Soyez maudit à jamais !!!
Puis le sorcier s’évapora dans une fumée verte. Où était-il parti ? On l’ignore pour le moment. La petite Daria était horrifiée par ce qu’elle venait d’apprendre. Son père avait fait tuer sa mère par la faute d’un sorcier ! Furieuse et triste à la fois, la petite Daria regagna discrètement sa chambre. Timilas était devenu irascible. Que pouvait-il faire face à un sorcier ? D’autant plus qu’il avait disparu. Il ordonna à une patrouille de partir à sa recherche.
Le roi ne pouvait laisser ce crime impuni. Mais où était donc le véritable assassin ? Son tour de passe-passe l’avait emmené hors de la cité. Il se trouvait dans un petit bois entre Aigusel et Castellin, au sud-ouest de Soriys. Cependant il ne devait pas rester là. Il était certain que le roi avait envoyé des hommes à ses trousses. Le sorcier partit droit devant lui, vers le sud-ouest. Il prit en chemin quelques vivres, c’est-à-dire des fruits et des racines. Il avait aussi pris soin de remplir sa gourde d’eau douce. Après avoir traversé la mer calme grâce à une grosse grume, il s’enfonça dans les terres hostiles, là où les soriyssiens ne viendraient jamais le rechercher. Il traversa le désert qui était tellement sec que son sol était craquelé de partout. Il n’était pas seulement sec, mais aussi très froid. Vorn avait gravi les montagnes en passant par un col impitoyable. Et de l’autre côté, le désert s’étendait à perte de vue. Fatigué par sa pénible fuite, le mage noir voyait sa fin arriver.
Il tenta de boire une gorgée d’eau mais sa gourde était vide. Alors il s’adressa désespérément à sa déesse favorite en levant les mains au ciel.
— Les humains se sont moqués de toi Sana, déesse enchanteresse. Venge-toi envers ceux qui t’ont humilié en me condamnant à une mort certaine ! Fais de moi ton porte-parole parce que je te vénère… Je suis ton dévoué serviteur et j’ai besoin de toi, supplia le sorcier. Accorde-moi au moins un abri afin que je puisse me reposer.
Soudain, une grande et jolie femme bronzée fit son apparition dans une fumée violette. Elle avait des cheveux de soie noirs, un visage un peu rond, des yeux marron clair, un petit nez, des lèvres pulpeuses et un menton en arrière. Elle portait une longue robe bleue et elle marchait pieds nus. Elle tenait dans sa main droite un petit sceptre en bois muni d’une grosse perle violacée sur le bout supérieur. Le sorcier se posa des questions. Était-ce Sana ? C’était fort probable. Mais si c’était le cas, qu’allait-elle décider ? Ne sachant quoi faire, Vorn se mit à genoux pour s’incliner devant cette femme divine.
— Salutations Vorn. Je suis Sana la déesse enchanteresse.
J’ai vu tes derniers faits et je dois dire que ce n’est pas très glorieux, informa la divinité.
— Pardon d’avoir attisé ta colère, fit Vorn en baissant honteusement la tête.
— Mais dans un sens tu as raison. Tu es mon seul représentant sur cette terre. Et ces hommes détruisent la nature que j’aime tant en construisant des maisons, un port et des routes en pavés.
Que restera-t-il de la nature ? Aussi je te propose un marché. Je veux que tu sois l’objet de ma colère envers les hommes.
— Oui maîtresse, confirma Vorn en acquiesçant.
— Bien. Trouve un moyen de chasser ces hommes ou extermine-les tous. Ensuite fais en sorte que la nature naisse à nouveau. J’aimerais que cet endroit retrouve sa beauté d’antan. Les êtres de la nature ont besoin que les constructions des hommes cessent.
— Oui Sana, répondit Vorn en acquiesçant une nouvelle fois.
— Tu m’as demandé un abri. Or je n’ai pas grand-chose à t’offrir… à part ceci.
La déesse tendit son sceptre vers l’étendue de sable. Un tremblement de terre se fit sentir subitement faisant déséquilibrer le sorcier. Il tomba au sol, un peu effrayé. Puis quelque chose sortit du sol poussiéreux. Des tours et des murs jaillirent de la terre.
Une forteresse s’élançait lentement vers le ciel. Lorsque le sol s’arrêta de trembler, le sorcier se releva tout doucement à l’aide de son bâton, il n’en croyait pas ses yeux.
— Tu as de grands pouvoirs Sana. Cette bâtisse est somptueuse.
— Tu y trouveras des vivres pour te nourrir inlassablement parce que dans ces terres arides, il n’y a rien à manger ni à boire. Avec cette forteresse, tu es à l’abri des ennemis. Personne ne s’aventurera sur ces terres hostiles.
— Merci Sana.
— Revenons sur ce marché. Tout ne te sera pas facile. Et il ne faut pas oublier que ton crime sera puni. Mais je t’offre une chance de t’en sortir. Je mets ce détail de côté pour le moment. Du moins, le temps que tu accomplisses ton devoir. Fais ce que je t’ai demandé et tu gagneras ta liberté. Tu conserveras aussi le domaine que je t’offre. De plus, je pourrai te venir en aide mais qu’une seule fois. Alors, réfléchis bien à ce que tu me demanderas.
— Mille mercis Sana.
— En revanche si tu échoues Onoïn, mon mari, se chargera de ta condamnation à mort.
— Oh, dit le sorcier un peu ennuyé. Et comment saurais-je que j’ai échoué ?
— Dans la forteresse se trouve un trésor, répondit Sana.
— Un trésor ? s’étonna le sorcier.
— Oui, un trésor gardé par une de mes créatures. Protège-la parce qu’elle détient une escarboucle un peu spéciale.
— Spéciale ? C’est-à-dire ? demanda Vorn bien intrigué.
— Cette escarboucle n’est pas qu’un simple joyau. Elle peut être utilisée lors de la préparation de remèdes. Si cette créature est tuée, tu pourras te considérer comme perdu à jamais, expliqua la déesse.
— Bien Sana. J’espère pouvoir t’honorer comme tu le mérites.
— Nous verrons.
La déesse disparut ensuite dans une brume violette. Vorn ne pouvait plus revenir en arrière. Il allait donc falloir trouver un moyen de nuire à ces intrus. Pour le moment, Vorn s’approcha de la forteresse. L’édifice avait été construit avec des blocs de granit noir. Le sorcier s’avança vers la grande porte en bois foncé. Il prit un des heurtoirs (1) pour tirer la porte. Mais ses bras frêles manquaient de puissance. Pourtant, la porte s’ouvrit quand même. "Entrez Maître" dit une petite voix masculine à l’intérieur. Le sorcier entra et découvrit un petit garçon qui le regardait. Ce dernier ferma la porte quand son maître fut à l’intérieur de la forteresse. Il avait les cheveux blonds et courts, un visage fin avec des yeux bleus, un nez en trompette, une fine bouche et un menton saillant. Il portait une tunique vert-foncé qui lui arrivait à mi-cuisse. Et il semblait être un peu poltron.
— Qui es-tu ? demanda le sorcier d’un air grave.
— Je suis Hédas, votre serviteur, répondit-il timidement.
Le repas est prêt. Voulez-vous bien me suivre ?
Le sorcier suivit son serviteur. Ils passèrent dans la grande cour dépourvue de jardin. Le serviteur ouvrit une autre porte en bois foncé pour faire entrer son maître. Sur la gauche, ils arrivèrent dans un hall tout noir, tout juste éclairé par des archières et quelques torches. Derrière une autre porte en bois, un couloir aussi éclairé par des torches se prolongeait. Vorn remarqua quelques armures en guise de décoration. Ils arrivèrent dans une grande salle à manger où la table fut dressée pour une personne. Les meubles étaient aussi sombres que les murs du bâtiment. L’atmosphère était très froide. Le serviteur tira la chaise pour permettre à Vorn de s’asseoir. Ensuite, il apporta rapidement le repas avec du vin. Le sorcier avait donc pu se restaurer convenablement pendant qu’Hédas resta sur le côté dans l’attente d’un ordre. Une demi-heure plus tard, le sorcier voulut visiter la forteresse. Au rez-de-chaussée, il y avait les pièces d’une demeure banale : salle à manger, salle de séjour, bibliothèque, salle de bains, cuisine. Au sous-sol, il y avait plusieurs cachots et une salle de torture. Au premier étage, il y avait principalement des chambres et des bureaux. Au deuxième étage, il n’y avait pas beaucoup de pièces. Vorn en fera son observatoire, son lieu de travail. Toutefois il y avait la pièce la plus importante à cet étage, celle qui renfermait la créature. Quatre tours ornaient chaque angle de la forteresse. Ce fut un beau château que la déesse lui avait offert. Il était temps maintenant d’élaborer une stratégie pour répondre à sa demande et préserver sa survie.


Pendant ce temps, Myrsine et Mausina couraient joyeusement dans les couloirs du palais. Elles terminèrent leur course dans la chambre que Myrsine partageait avec Daria. Les deux filles surprirent leur grande soeur avec les deux mains sur le visage. Elle pleurait encore. La plus jeune, Mausina, s’approcha de Daria. Celle-ci était assise sur un siège en bois situé sur la droite de son lit aux draps blancs. Mausina posa sa main gauche sur le genou de Daria. La pauvre fillette s’arrêta et regarda sa petite soeur.
Des gouttes glissaient encore sur ses joues rouges.
— Qu’est-ce qu’il y a Daria ? demanda la gamine d’une voix triste.
Daria ne répondit pas dans l’immédiat. Que pouvait-elle dire à Mausina ? Elle n’avait que quatre ans. Pour Soïlé, Rubella et Prisca, ce sera plus simple. Même s’il arrivait à Soïlé de réclamer sa mère de temps à autre. Elles avaient peu connu leur mère.
— Daria, que se passe-t-il ? reprit Myrsine voyant que sa soeur tardait à répondre. La plus âgée des soeurs chercha une excuse.
— Je suis triste c’est tout, se contenta-t-elle de dire.
— Notre mère te manque, n’est-ce pas ?
Daria acquiesça en reniflant. Myrsine lui prêta son mouchoir pour qu’elle puisse se moucher le nez.
— Moi aussi elle me manque, ajouta Mausina. Mais je suis sûre qu’un jour elle reviendra. Elle aime beaucoup papa et nous aussi.
La gamine voulait lui mettre du baume au coeur. Les trois soeurs étaient très complices. Toutefois Daria savait pertinemment que ce jour n’arriverait jamais. Mais comment faire comprendre cela à une gamine sans lui faire de la peine ? Peut-être valait-il mieux laisser faire le temps. Ses soeurs comprendront bien un jour. De plus, annoncer la mort de leur mère n’était pas son rôle mais celui de leur père. Seulement Timilas ne parlait presque plus à ses filles. Chaque fois qu’il posait les yeux sur l’une d’entre elles, il voyait sa femme. Était-elle une vipère ou une malheureuse victime ? Il était trop tard pour le découvrir.

 

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(1) Poignées de porte formées d’une tête d’animal et d’un anneau logé dans sa mâchoire, permettant d’annoncer son arrivée au moyen d’une boule placée sur l’anneau que l’on frappe contre la porte.

 

Chapitre 3 - Un destin gravé

À cause du harcèlement que faisait subir Elydda à son mari, Gliddry finit par avouer l’existence des pierres sacrées de Placida. Ceci titilla la curiosité de la reine des dieux. Elle devait savoir ce qui était écrit sur ces tablettes. Rester dans l’ignorance lui était insupportable. Alors la reine des dieux demanda à son mari l’emplacement de ces pierres. Celles-ci se trouvaient dans une grotte située sous le temple à plusieurs mètres de profondeur. Mais il prévint Elydda qu’il n’y avait aucune entrée. Lorsqu’il y est allé, il avait dû se téléporter là-bas. Mais comment avait-il découvert l’existence de ces pierres alors ? Gliddry était un homme qui aimait beaucoup se promener par-ci par-là. Et un jour, juste par curiosité, il voulait savoir de combien de sources souterraines était munie l’île de Placida. Gliddry appréciait les cavernes car c’était un endroit très calme avec des couleurs qu’on ne trouvait parfois nulle part ailleurs. Les formes naturellement sculptées par l’eau dans la roche l’impressionnaient. Par contre, il fallait faire attention aux stalagmites (1) et stalactites (2) car elles pouvaient être dangereuses. Il était déjà arrivé que des stalactites se brisent et se fracassent sur le sol lors d’un tremblement de terre. Gliddry ne révéla jamais l’existence de cette caverne à ses enfants. Seule Elydda en était désormais informée.


Sans plus attendre, la reine des dieux s’y rendit. Et lorsqu’elle fut arrivée, la pièce lui sembla étrange. Elle était caverneuse, certes mais elle ne s’attendait pas à voir des plaques pierreuses fixées sur les murs. L’endroit n’était pas humide comme dans une nappe phréatique. Bien au contraire, il n’y avait pas la moindre trace d’eau. La pièce était grande, très grande même. Elle était peut-être aussi grande que la surface du temple divin (qui était déjà bien étendu). La grotte était un peu fraîche. La déesse finit par avoir la chair de poule au bout de seulement quelques minutes. Elle se frotta les bras afin de les réchauffer un peu. Sur les parois, des torches enflammées étaient posées dans des appliques en fer forgé. Elydda prit un flambeau pour lire le contenu de la première tablette. Elle était bien plus petite que les autres qui suivaient. La plaque était taillée dans la roche et avait les bords arrondis. Les plaques sacrées ont été gravées bien avant l’arrivée des premiers hommes sur cette île. Elles seront capables de prédire ce qu’il adviendra du peuple vivant sur l’île. Leur destinée, appelée prophétie, sera fatale. Ce fut le texte gravé et signé par Serina. Celle qui avait gravé ces pierres était la soeur de Gliddry. Elle possédait un don de voyance. En y accordant plus d’attention, on pouvait remarquer que la gravure était très superficielle. Si elle avait été faite par un homme, elle aurait été plus marquée. Elydda ignorait que sa soeur (et belle-soeur) avait dans l’idée de transcrire ses visions. Il y avait beaucoup de tablettes mais l’histoire resta assez vague. Il y avait quelques fois des ellipses de quelques années.


Ce fut avec une curiosité profonde que la reine des dieux lut les textes sacrés. Les autres plaques étaient six fois plus grandes que la première qu’Elydda avait consultée. Au fur et à mesure, la déesse reine fut comme absorbée par sa lecture. Mais cela lui faisait mal au coeur de lire certains passages, comme la mort de la malheureuse Télia. Les pierres prédisaient aussi des événements concernant les dieux ; par exemple l’accord passé entre Sana et Vorn. Les gravures des premières tablettes laissaient échapper une lumière blanche. Pourquoi les autres n’étaient-elles pas illuminées ? Il fallut un long moment pour lire toutes les tablettes, tellement il y en avait. La dernière tablette qu’Elydda avait lue, annonçant son envie irrésistible de satisfaire sa curiosité, venait justement de s’allumer. C’est là qu’elle comprit. Les pierres s’illuminaient lorsque l’événement s’accomplissait. La prophétie ne se réalisera pas sans dommage en effet. Pourquoi autant de malheur pour obtenir un simple bonheur ? Ce fut la question que la reine s’était posée à ce moment-là. Les hommes étaient bien trop impulsifs. Ils réagissaient sur un coup de tête comme l’avait fait le roi Timilas. Comment un homme dévoué pouvait-il se transformer en tyran craint par toutes les femmes ? Mais tout ce qui s’était passé avait une cause. La vie des placidiens avait dégénéré lorsque les dieux envoyèrent les Sages pour développer leurs connaissances.


Elydda se sentit un peu responsable de l’avenir des placidiens. Elle devait les aider impérativement. Mais elle ne pouvait pas intervenir d’elle-même. Toutefois, elle savait qui pourrait soutenir ces hommes. Alors elle reposa la torche sur son applique puis retourna au temple. Elle apparut dans une fumée rose dans la chambre de Nissa. Celle-ci comprenait deux parties. La première était la chambre avec un lit de deux personnes possédant une couverture vert-émeraude et des oreillers blancs. Il y avait aussi une armoire, deux fauteuils, une table ronde et un miroir à forme ovale accroché au mur. Tous les meubles étaient en chêne brut. Dans l’autre partie, c’était un espace réservé aux entraînements de la déesse. Elle pratiquait beaucoup l’épée. Cela lui permettait de déverser sa colère sur un mannequin en paille recouvert d’une armure. La pièce était aussi meublée avec une table, une grande armoire et un gros coffre pour ranger ses armes. La jeune rousse était habillée d’une tunique verte qui lui arrivait au-dessus du genou. Elle était en train de s’entrainer à l’épée mais elle entendit quelqu’un marcher derrière elle. La guerrière fut surprise de voir son arrière-grand-mère lui rendre visite aujourd’hui.
— Bonjour Elydda, lui fit-elle avec un sourire.
— Bonjour Nissa. Je vais avoir besoin de ton aide.
— Bien sûr, tout ce que vous voudrez.
Elydda vint dans la chambre et s’assit sur un des fauteuils.
Elle regarda à nouveau Nissa et reprit la parole.
— Comme tu le sais déjà, les choses ne vont pas si bien que cela sur l’île.
— Oui c’est même révoltant ! répondit vivement Nissa.
— J’aimerais qu’au moment venu tu viennes en aide à Daria.
— Daria ? Mais ce n’est qu’une petite princesse. En quoi pourrais-je lui être utile ?
— C’est vrai que Daria n’est qu’une enfant pour l’instant.
C’est pour cela que je te dis au moment venu.
— Ce sera donc dans quelques années ?
— Oui. Cette pauvre fille va subir une enfance bien malheureuse et ses soeurs aussi. Mais il arrivera un jour où elle ne pourra plus le supporter.
— C’est donc à ce moment-là que je devrais l’aider ?
— En effet. Elle ne pourra pas se débrouiller entièrement seule. De plus, Sana sera contre elle.
— Quoi ? ! Comment ça ? fit Nissa en fronçant les sourcils.
— Elle a offert son aide à Vorn le sorcier.
La déesse rousse commença à s’agiter et à faire les cent pas dans la pièce.
— C’est intolérable ! Elle a beau être ma grand-mère, je n’accepte pas cela !
— Calme-toi s’il te plaît, fit la reine des dieux d’un ton posé.
La guerrière se stoppa et regarda à nouveau son arrière-grand-mère.
— Désolée. Quand devrais-je aider Daria ?
— Lors de ses seize ans. Un événement changera complètement sa vie.
— Comment savez-vous tout cela Elydda ?
La reine des dieux était un peu gênée face à cette question.
Elle était tenue au secret comme l’était Gliddry, son mari.
— Je ne peux pas te le dire. Mais je te demanderai de me faire confiance. Tu ne dois surtout pas aller la voir avant l’heure.
Et lorsque tu iras la voir, présente-toi sous un autre nom.
La déesse rousse lui répondit respectueusement un petit:
— Entendu tout en acquiesçant. La reine des dieux la remercia puis sortit gracieusement de la chambre. Nissa se demandait comment elle pourrait aider la petite princesse à l’avenir. Un événement changera complètement sa vie. Si Elydda était venue la voir, ce n’était certainement pas sans raison. Peut-être devra-t-elle apprendre les rudiments de la chasse ? Ou apprendre à fabriquer des armes comme des arcs ou des lances ? Cela, Nissa pouvait le lui enseigner. Par contre, pourquoi se présenter sous un autre nom ? Le sien aurait-il un impact qui ne devrait pas être ? C’était possible. Nissa retourna à son entraînement tout en réfléchissant à ce qu’Elydda venait de lui dire.


Entre-temps, Elydda marchait dans le temple majestueux, au milieu des colonnades blanches, en direction d’un autre de ses descendants : Cymos. Ce dernier était le dieu de la nature, de la fertilité, de l’agriculture et de la chasse. Il est le fils de Jetysse et de Tirakoth. Cymos était un jeune homme avec des cheveux bruns, foncés et ondulés, les yeux marron, un visage ovale avec une petite barbe. Il était grand et plutôt mince. Il portait une toge orange avec une corde dorée en guise de ceinture et des sandales marron. Une couronne de vigne ornait sa tête. Son visage était plutôt sympathique. Cymos était justement dans le grand jardin situé derrière sa chambre. Il vérifiait le raisin qui poussait sur sa vigne. Lorsque son contrôle fut terminé, il retourna dans sa chambre. Elydda était à sa porte, en train de le regarder. Cependant, Cymos ne l’avait pas vu. Il était passé et s’était dirigé vers une armoire.
La déesse joignit ses mains et parla d’une voix douce.
— Puis-je entrer ? demanda-t-elle.
Cymos se tourna doucement vers Elydda.
— Oui bien sûr, lui fit-il avec un sourire chaleureux. Je suis navré, je ne vous avais pas vu.
Elydda fit quelques pas dans la pièce. Elle était bien claire, ensoleillée. Mise à part l’armoire, on pouvait y voir une banquette en bois avec une table basse juste à côté. Au fond de la pièce, une arcade donnait sur le reste de la chambre, là où était placé le lit.
— Ce n’est rien, ne t’en fais pas. J’ai quelque chose à te demander.
— Très bien, asseyez-vous.
Elydda s’assit à côté de Cymos sur la banquette.
— J’ai un mauvais pressentiment concernant l’avenir de Placida.
— Ah bon ? Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?
— Je sais qu’il t’arrive d’avoir des sautes d’humeur. Et cela n’est pas bon pour les placidiens.
— Comment pouvez-vous le savoir ? demanda curieusement Cymos. Vous me connaissez si bien que cela ?
— Ton père est le dieu de la guerre. Tu as quelques petites choses de lui. Heureusement, tu as hérité de la bonté de ta mère pour équilibrer. Et puis, je sais comment est mon arrière-petit-fils.
— Sûrement, dit-il en esquissant un petit sourire, mais vous n’êtes pas venue uniquement pour me dire ceci.
— J’aimerais que tu fasses en sorte que les placidiens ne manquent jamais de récoltes.
— Autrement dit, vous voudriez que je leur épargne mes sautes d’humeur.
— Je sais que tu détruis les récoltes quand tu es en colère.
Mais les placidiens n’ont pas à en pâtir.
— Mais tous les dieux le font, justifia-t-il.
— C’est une faveur que je te demande. Tu ne veux pas faire plaisir à ton arrière-grand-mère ?
— Si, bien sûr que si. Mais je ne comprends pas pourquoi.
— Tu le comprendras plus tard.
Cymos détourna le regard pendant quelques secondes puis il acquiesça.
— D’accord, je vous fais confiance.
— Tu me promets donc qu’ils auront de bonnes récoltes ?
— Oui, c’est promis. Je maintiendrai les récoltes autant que cela m’est possible. Par contre, si elles sont mauvaises pour une raison purement naturelle, je ne pourrais rien y faire.
— Je te remercie. Fais ce que tu peux. C’est très important car un peuple qui a faim est un peuple instable. Le jeune Timilas se passerait bien d’une révolte.
— Oui et avec ce qui s’est passé récemment, c’est vraiment horrible.
— En effet. Timilas n’est pas le roi que j’aurais cru. Il était tellement doux avant la mort de son père.
— Il a subi un gros choc émotionnel, expliqua Cymos. Soriys était le seul parent qu’il lui restait.
— Dommage qu’il soit parti aussi vite. Timilas ne se sentait pas prêt à être roi. Mais le hasard en a décidé autrement.

La reine des dieux se leva lentement. Elle et Cymos se saluèrent puis la déesse sortit de la chambre. Placida ne connaîtra pas la famine avant longtemps. Ce que disait Elydda au sujet de Timilas était vrai. Il ne se sentait pas prêt à devenir roi, surtout pas de cette façon. Son père et lui étaient si proches. Porter la couronne n’était pas encore dans ses projets. Toutefois, il dut prendre la relève bien malgré lui. Il gouvernait, oui, mais à contrecoeur. L’amertume était devenue son quotidien. Il n’avait plus le goût de vivre, mais il ne pouvait pas abandonner ce que son père avait mis tant de temps à bâtir.

Afin d’échapper à l’atmosphère pesante du palais, Daria avait pris l’habitude de fuguer. Ce fut de cette manière que Daria avait pu constater l’évolution de la cité. Mais elle ne s’absentait jamais trop longtemps. De plus, elle pouvait compter sur le silence de Myrsine. La jeune princesse avait récupéré une corde qu’elle cachait dans son petit coffre doré. Elle avait même pensé à faire des noeuds à intervalles réguliers pour l’empêcher de glisser lors de sa descente et faciliter sa remontée. La chambre de Daria et de Myrsine avait une vue sur l’arrière-cour, dans un coin sombre. C’était un avantage pour elle car il s’agissait d’un endroit peu fréquenté. Les premières fois, sa petite soeur était inquiète lorsqu’elle voyait Daria descendre la corde. Elle avait peur qu’elle tombe et se fasse mal. Une fois arrivée en bas, Myrsine récupérait la corde et la cachait dans le coffre. Daria lui avait demandé d’être présente à une certaine heure pour son retour. Myrsine enviait sa soeur par moments. Elle aurait aimé l’accompagner mais elle craignait le courroux de leur père.


Un jour lors d’une fugue, Daria progressait dans la cité. Le capuchon de son long manteau noir masquait une partie de son visage. On ne voyait que son nez et ses petites lèvres roses. Le temps était sombre et pluvieux ce jour-là. Parfois le bruit de la pluie tombante sur le sol était la seule musique d’ambiance. On entendait aussi des "floc, floc, floc" à chaque pas des passants qui traversaient les rues boueuses. De la terre imbibée recouvrait la semelle des bottines de la princesse. Le pavement des rues était un des projets de son père. Mais pour le moment, c’était la grande place qui était en travaux. Daria déambulait avec précaution dans les rues. Quelques hommes bravaient la pluie avec leur charrette remplie de paniers de vivres : des sacs de blé, des pommes, des tonneaux et des paniers recouverts d’un linge. Il fallait bien qu’ils gagnent leur vie et le commerce se fichait éperdument du temps qu’il faisait. De la musique jouée sans retenue sortait des auberges et des gens riaient à s’en décrocher la mâchoire. La petite fille continuait dans la rue glaciale. Elle croisait les bras pour réchauffer sa poitrine juvénile. Cela faisait environ deux heures qu’elle errait sans but. Elle était perdue dans ses pensées. Elle marcha, marcha, encore et encore. Elle se retrouva quelque part bien loin au sud-ouest de la cité. Puis elle aperçut des planches en bois au loin. Elle s’approcha pour satisfaire sa curiosité. Avec la pluie elle ne voyait pas très bien ce que cela pouvait être. Elle franchit une petite montée à l’entrée d’un bosquet et vit une cabane. Daria regarda par la fenêtre mais il n’y avait personne. Elle ouvrit la porte et découvrit une pièce avec seulement une table, une chaise et une paillasse. La princesse referma la porte derrière elle. Elle avait décidé de rester à l’abri le temps que la pluie cesse. Elle examina un peu plus l’intérieur, tapota la paillasse mais de la poussière en jaillit. Elle tourna rapidement la tête et toussota un peu. Environ une demi-heure plus tard, la pluie devint plus fine. C’était le moment pour Daria de rentrer. Elle ne savait pas depuis combien de temps elle était partie. Elle quitta cette vieille cabane abandonnée et courut vers la cité. Vu à quelle allure elle filait, son capuchon s’était enlevé. Mais peu avant de rentrer dans la ville, elle le remit en place. Il ne faudrait pas qu’elle retombe sur un garde à visage découvert, sinon ce serait la dispute assurée et peut-être même pire.


Elle déambula à nouveau dans les rues. Un jeune garçon aux cheveux châtains remarqua sa présence alors qu’il déchargeait la charrette de son père. Cela faisait un certain temps qu’il était dehors car malgré l’arrêt de la pluie, il était trempé jusqu’aux os à force de faire des allers-retours. Soudain la fillette au chaperon noir cogna son pied gauche à un mancheron de charrue.
Elle trébucha en avant en poussant un petit cri. Le marchand venait d’enlever son cheval pour le mettre à l’écurie.
— Mais fais attention mon petit lui fit-il avec sa grosse voix. Pourtant sans porter le moindre secours, il rentra son cheval.
Le jeune garçon s’avança vers la fillette qui était encore étalée par terre. Elle n’avait pas vraiment compris ce qui lui était arrivé.
Il l’aida à se relever en lui adressant la parole.
— Est-ce que ça va mademoiselle ? Rien de cassé ?
Daria vit sa robe bleue pleine de boue. Elle n’avait pas encore pris la peine de répondre à son bienfaiteur. Elle passa le dos de sa main sur son menton qu’elle devinait couvert de boue aussi.
— Tu ne dois pas voir grand-chose avec ton capuchon, ajouta le garçon de dix ans. Tu peux l’enlever maintenant qu’il ne pleut plus.
Il posa la main sur le sommet du crâne de la petite fille et baissa d’un coup la capuche. Il découvrit ainsi son minois qu’il trouva fort joli.
— Non ! lui fit-elle choquée par son geste. Elle remit tout de suite son capuchon en place.
— Excuse-moi, fit-il un peu gêné.
— Ne le dis pas aux gardes s’il te plaît.
— Oh bah je ne suis qu’un garçon de ferme, expliqua-t-il en se grattant l’arrière de la tête. Pourquoi voudrais-tu que j’aille les voir ?
— Merci pour ton aide, jeune garçon. Mais ne dis à personne que tu m’as vu. Tu me le promets ?
— Euh… Oui bien sûr. Tu as ma parole et qu’Onoïn m’emporte si je mens.
— Bien.
La petite fille s’en alla prestement.
— J’espère qu’on se reverra ! lui cria-t-il. Mais il n’eut aucune réponse en retour. Misère ! pensa-t-il ensuite, je n’ai pas eu le temps de lui demander son nom ! Oh quel dommage.
En effet dommage pour le petit Golfrid parce qu’il ne verra pas cette fille avant un long moment. Mais à cet instant dans un lieu plus loin et souterrain, une des pierres sacrées venait d’illuminer ses écrits. Daria arriva sous la fenêtre de sa chambre. Myrsine avoua qu’elle commençait à s’inquiéter, c’était bientôt l’heure du déjeuner. Elle lui envoya la corde et sa grande soeur remonta. Myrsine vit avec horreur les vêtements souillés de sa soeur. Daria lui raconta rapidement sa chute puis elle retira ses bottines toutes crottées. Ce fut à ce moment-là que leur nourrice, Liena, arriva dans la chambre. La nourrice était une femme plutôt agréable. Elle avait des cheveux châtain foncé qu’elle attachait en chignon relâché. Des petites mèches ornaient son visage pâle. Elle portait une robe gris clair avec de la dentelle blanche au niveau des manches et du bas de la robe. Ses chaussures étaient fermées et noires. Lorsque Liena vit Daria dans cet état, elle fut bouche bée.
— Mais enfin Daria, que t’est-il arrivé ??
Daria n’osait répondre quoi que ce soit. Elle avait encore ses bottines maculées de boue dans les mains.
— Elle a joué dans la cour toute la matinée, affirma Myrsine.
— Sous cette pluie glacée ?? s’étonna la nourrice.
— Euh… Oui, hésita Daria.
— Tu es vraiment exaspérante ! s’énerva Liena. Donne-moi tes bottines que je puisse les laver et mets des vêtements secs avant d’attraper froid ! Lave-toi le visage aussi, tu as de la terre sur le menton. Le repas sera bientôt servi. Dépêchez-vous de rejoindre votre père. Vous savez qu’il ne tolère aucun retard.
— Oui Liena, répondit Daria en baissant la tête.
— Allez, change-toi.
La nourrice repartit avec les bottines souillées. D’habitude, elle ne s’énerve pas comme cela, mais de toutes les bêtises que Daria avait pu faire, celle-ci était l’une des pires. Elle risquait de tomber malade. Daria s’en était bien tirée cette fois-ci, mais c’était grâce à sa complice aux cheveux flamboyants. Elle regarda sa petite soeur puis elle s’approcha d’une table où était posée la vasque blanche en céramique. Elle prit une cruche de même matière et versa l’eau dans le récipient. Elle reposa la cruche et prit un linge qu’elle trempa dans l’eau. Tout en se regardant dans le miroir, elle se débarbouilla le visage.
— Merci de m’avoir couvert Myrsine.
— Il n’y a pas de quoi, répondit sa soeur en souriant.
— Mais à l’avenir ne prends plus ce risque.
— Quoi ?? Mais pourquoi ? demanda la petite rousse tout étonnée.
— Je ne veux pas que tu sois punie à cause de moi.
— Peut-être mais je suis ta soeur, reprit Myrsine en croisant les bras, alors je te couvrirai que tu le veuilles ou non.
Daria esquissa un petit sourire. Elle pensait qu’elle était chanceuse d’avoir une soeur si dévouée. Par contre, elle ne voulait pas impliquer ses autres soeurs comme Mausina ou Soïlé. Elles étaient capables de comprendre, malgré leur âge peu avancé, que Daria s’en allait furtivement. Moins elles en savaient et mieux c’était pour elles.

 

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(1) Pointes rocheuses dont l’extrémité s’élance vers le haut.

(2) Pointes rocheuses situées sur la voûte d’une grotte et dont l’extrémité est dirigée vers le bas.

Chapitre 4 - Le déshonneur

Les années passèrent bien amèrement pour certaines femmes. Leurs tâches étaient de s’occuper de leurs enfants, de garder leur maison propre, de faire la cuisine et de satisfaire les besoins naturels de leur époux. Et si elles ne le faisaient pas, elles étaient sanctionnées d’une claque en plein visage devant les autres épouses. Quelle humiliation. Et pour quelle raison ? Il était important pour les hommes, afin de garder leurs avantages, d’empêcher les femmes de se révolter, d’où la violence de certains. Enfin, il s’agissait du pire des cas. Fort heureusement, tous les hommes n’étaient pas aussi égoïstes et agressifs. D’autres hommes respectaient les nouvelles lois de Timilas, certes mais ils honoraient le minimum tolérable. En effet, ils ne voulaient pas faire des choses qui leur semblaient immorales. Des hommes n’avaient pas besoin de plusieurs femmes par exemple ; ou d’autres les appréciaient à leur juste valeur. Depuis les nouvelles lois, le comportement des hommes était très partagé. Après tout, ce qui se passait dans leur maison ne regardait qu’eux. Le plus important était de ne pas enfreindre les règles de vie.


La population continua d’augmenter car il y avait énormément de naissances. Bien entendu, les ressources furent suffisantes pour un tel peuple. Cela était possible grâce à l’activité commerciale qui était très présente à Placida ainsi qu’aux récoltes qui abondaient chaque année. Cependant, malgré cet essor, cette prospérité grandissante, le souverain gardait toujours une irascibilité impérissable. Il resta veuf et négligea ses filles. Il ne remarqua aucunement les multiples escapades de Daria. Celle-ci, d’ailleurs, avait à nouveau endossé son manteau à capuchon pour une nouvelle promenade en fugitive. Timilas préférait s’occuper de la cité et il en prendrait soin aussi longtemps qu’il vivrait. Le souverain avait développé les défenses de la cité mère. Une muraille avait été construite tout autour ainsi que des camps d’entraînement dans l’enceinte de la cité. Les voies étaient désormais faites en pavés ce qui permettait de moins se salir les pieds. Ce fut une chose très appréciée par la petite vadrouilleuse de quinze ans. C’était plus agréable d’arpenter les rues sans crotter ses bottines.


Daria déambulait, toujours avec son capuchon sur la tête vers la sortie de la cité. Les tentes avaient laissé place à de grands bâtiments en pierres. Même la grande place avait changé. Avant ce n’était qu’un terrain nu, sans allure, où se réunissaient les citoyens. Désormais, la place était matérialisée par un grand espace pierreux. Les mots "Cité de Soriys" étaient gravés en grand en plein milieu. À chaque coin des obélisques avaient été dressés et sur chacun d’eux on pouvait lire "Grande place de Soriys, chef-lieu de Placida" buriné dessus. Elle était belle et propre la grande place. Édifiée au coeur de la cité, elle était parfaite pour les marchés et les fêtes dédiées aux dieux. Autour de celle-ci, il y avait quelques commerces, les entrepôts et greniers puis les habitations. En périphérie quelques petites fermes étaient implantées ainsi que les camps d’entraînement. Il y avait aussi des temples érigés en l’honneur des dieux. Et tout cela était entouré de grands remparts. N’oublions pas que Soriys disposait également d’un port situé au nord de la cité pour le commerce maritime. Daria trouvait la cité vraiment sublime. Mais ce qui l’attirait surtout, après les spectacles de danses et de musique qu’elle apercevait au passage, c’étaient les entraînements au combat des soldats de son père.


Il y avait un jeune garçon d’environ dix-sept ans qui s’exerçait à l’épée. Il arrivait quelquefois que certains effets d’entraînement disparaissent. Par exemple un heaume qui aurait voltigé et aurait atterri dans les buissons en dehors de la zone d’entraînement ; ou un buste d’armure qui aurait disparu en pleine nuit. Les soldats ignoraient qu’ils étaient méticuleusement observés par une jeune fille depuis quelques années. Le jeune garçon se défendait bien mais son épée vola soudainement vers les buissons. Daria s’était embusquée derrière un arbre, elle était non loin de l’épée. Discrètement elle la ramassa puis se cacha pour ne pas être vue. Quelques minutes plus tard, le jeune garçon en cotte de mailles arriva et chercha son épée. Mais il ne la trouva point. Son maître d’apprentissage s’adressa à lui.
— Alors ? Tu la trouves cette épée ? hurla-t-il pour que son élève l’entende.
— Non, elle a disparu ! répondit le jeune garçon en se grattant la tête.
— Es-tu certain ? ! insista le maître.
— Oui, elle n’est plus là.
— Bon, ça ne fait rien ! Reviens, j’en ai d’autres en réserve ! Mais il va falloir régler cette histoire, grogna le maître, il y a un voleur qui rôde dans les parages !
Le jeune garçon, qui était nul autre que Golfrid, retourna dans la zone d’entraînement. Il prit une nouvelle épée et continua son exercice. Daria n’avait pas pu voir la couleur de ses yeux. Tout ce qu’elle avait pu voir de lui, c’était ses cheveux châtains, courts, légèrement ondulés ses lèvres roses et son menton saillant et glabre. Aura-t-il une barbe un jour ? C’était drôle de voir ce jeune homme décontenancé en voyant que son épée s’était volatilisée. Celui-ci était bouche bée.

Mais il était temps pour Daria de repartir avec son butin. Néanmoins elle ne retourna pas directement dans sa chambre, pas avec cette épée dans les mains. Elle se dirigea d’abord vers les remparts. Elle attendit que la sentinelle soit passée pour se faufiler dans un trou qu’elle avait préalablement creusé la nuit. Ce tunnel se trouvait entre deux buissons et rejoignait l’autre côté du rempart. Puis elle marcha pendant un petit moment pour se retrouver devant sa cabane. Elle avait fait un mannequin avec le buste et le heaume qu’elle avait — empruntés à long terme. Il ne manquait plus que l’épée pour commencer à s’entraîner. Au début, elle n’avait qu’une petite dague qu’elle avait trouvée à même le sol. Mais ce n’était pas suffisant pour elle s’améliorer au combat. Daria reproduisit les gestes qu’elle avait observés chez les soldats. Elle devait parfois s’y prendre à plusieurs fois pour réussir. Il arrivait qu’elle retourne voir du côté des militaires pour revoir des choses qu’elle n’avait pas assimilées. Après plusieurs heures, Daria devait retourner au palais. Le soleil n’allait pas tarder à se coucher. Au retour elle devait être aussi discrète qu’à l’aller. Elle traversa les rues, le visage caché par son capuchon et rentra clandestinement dans sa cour. C’était un peu une preuve que la surveillance du palais laissait à désirer. Myrsine lui renvoya la corde à noeuds. Daria grimpa en croisant les pieds au-dessus des noeuds pour ne pas glisser. Lorsqu’elle passa par la fenêtre pour entrer, elle vit le visage de sa soeur. La petite rousse lui sourit et lui demanda des nouvelles de la ville. La jeune princesse remonta la corde, la roula et la cacha dans son coffre.
— Il n’y a pas grand-chose que je puisse te dire, lui fit Daria.
Elle enleva son manteau noir, dévoilant ainsi sa jolie robe blanche avec des fioritures dorées au niveau du col rond et de la taille.
— Il n’y a vraiment rien de nouveau ? insista tristement Myrsine.
— Non, répondit sa soeur en hochant la tête. J’ai juste récupéré une épée.
— Cela fait combien de temps que tu t’entraînes ?
— Cela va faire environ un an. Mais je n’avais qu’une dague.
— Tu dois être forte maintenant, ajouta Myrsine avec admiration.
— Non, contesta Daria en prenant sa brosse dans le tiroir de son meuble. Je suis seule à m’exercer. Je n’ai pas l’habitude de combattre un adversaire, expliqua-t-elle en se brossant les cheveux. Pour l’instant je m’entraîne sur un mannequin.
— C’est déjà bien.
Daria reposa sa brosse sur son meuble. Liena, la nourrice, arriva quelques secondes plus tard.
— Ah vous voilà. Hâtez-vous, votre père ne sera pas content si vous êtes en retard pour le dîner.
— On arrive tout de suite Liena, répondit Daria.
— Bien.
La nourrice repartit aussitôt à la recherche des autres filles du roi. Sûrement étaient-elles encore en train de jouer dans leur cour.
— Heureusement qu’elle n’est pas arrivée plus tôt. Elle nous aurait surprises avec la corde, souligna Myrsine.
— Oui, je tâcherai de revenir plus tôt la prochaine fois.
Les deux filles se dépêchèrent de rejoindre leur père à la salle à manger. Elle était grande et éclairée par des torches sur pied rangées le long des murs. Il y en avait aussi deux au milieu des tables disposées en U. Celles-ci étaient munies de nappes blanches. Les filles saluèrent promptement les invités puis s’assirent. À chaque repas, elles venaient à table avec l’estomac noué. Daria était située à gauche de son père. Myrsine était à côté d’elle et les autres soeurs suivaient. Seules les plus jeunes mangeaient à part avec leur nourrice. Les invités étaient des nobles, des amis bourgeois et des officiers de l’armée dont un jeune homme qui avait le privilège d’être à la table du roi. Le menu fut principalement composé de viandes de boeufs, de gibiers de plusieurs sortes, de fruits et de légumes. À cela s’ajoutaient quelques épices et des pâtisseries en dessert. Les gens parlaient fortement et riaient à gorge déployée pendant que les ménestrels jouaient de leur instrument. Mais pendant ce festin qui semblait assez convivial, une question tourmentait le souverain. À vrai dire cela faisait un long moment qu’il se posait cette question.
— Daria, quand songes-tu te marier ? demanda-t-il.
— Mais je n’ai que quinze ans père, répondit-elle en reposant son gobelet. Puis-je vous demander pourquoi vous me posez cette question ?
— Le mariage est une affaire importante chez les nobles.
Je n’ai pas de fils. Je veux être certain que ma couronne sera entre de bonnes mains. Y a-t-il un homme ici pour t’épouser ?
Daria fut estomaquée. Elle ne s’attendait pas du tout à une telle conversation ce soir-là.
— Je l’ignore père. J’avoue que je n’y ai pas vraiment réfléchi.
— Pourtant comme Sa Majesté le dit, il faudra y songer.
Sans quoi la couronne n’aura pas d’héritier, fit un des bourgeois.
Daria ne savait quoi répondre, elle fut très gênée. Myrsine était devenue rouge tellement elle était embarrassée pour sa soeur.
— Il a raison, reprit le roi. Il n’est pas question de laisser la couronne sans héritier. Je veux un homme au coeur noble, courageux et décidé.
— Et qui, selon vous, répondrait à ces critères ? demanda audacieusement Daria.
— Fais attention à ce que tu dis et au ton que tu emploies, rétorqua gravement Timilas. Trouve-moi un homme qui répond à ma demande. Sinon je m’en chargerai.

Ce fut une épreuve de haut niveau que lui donnait son père. Daria n’avait jamais vraiment pensé aux hommes. Normalement, ce sont les hommes qui sont censés faire la cour aux dames. Pourquoi lui faire une telle demande ? Les bourgeois se moquaient d’elle. Ce fut une chose que la princesse n’apprécia pas du tout. Seulement elle ne pouvait quitter la table. Ce serait un manque de respect envers son père. Elle dut supporter les moqueries de ces gens de la haute société. Pour elle, ce n’était que des porcs habillés en dentelles ! Elle était la seule à subir régulièrement les railleries des invités, du moins pour l’instant. Elle se contentait de baisser la tête pour éviter de croiser leur regard. Et ce n’était pas son père qui allait prendre sa défense. Puis une voix masculine plutôt jeune mais déterminée suggéra à ces moqueurs de changer de sujet ; les plaisanteries devenaient bien lassantes. Daria n’eut pas le courage de lever les yeux pour savoir qui avait abrégé son humiliation. Elle était tellement gênée. Myrsine posa sa main droite sur l’épaule de sa soeur comme pour la rassurer. Elle fit un signe discret de la tête pour remercier ce jeune homme. Daria se contenta de fixer son tranchoir (1) pour finir de manger tout en ressentant une profonde amertume. Mais si elle avait pu jeter son couteau dans le visage d’un des railleurs, elle l’aurait fait sans regret. À la fin du repas, elle prit sa serviette blanche pour s’essuyer les doigts et la bouche. Ensuite elle demanda l’autorisation de son père pour quitter la table. Ce dernier accepta et elle partit. Soudain, la même voix qui avait retenu les railleurs s’adressa à elle.
— Attendez ! Vous vous sentez bien ? demanda le jeune homme.
Daria se retourna vers le jeune homme et elle constata qu’il s’agissait de Golfrid, un écuyer.
— Comment voulez-vous que je me sente bien ? lui répondit-elle aigrement. Je me sens humiliée comme presque chaque soir depuis huit ans !
— Ne les écoutez pas. Ce ne sont que de vieux idiots, rassura-t-il.
— Si c’est la couronne que vous voulez, soyez certain que vous ne l’aurez pas, rétorque-t-elle sévèrement.
— Mais non, vous vous méprenez ! Je voulais juste vous consoler.
— Me consoler pour quoi ? Quelles sont vos véritables intentions ? !
— Vous vous méfiez tellement des hommes, constata-t-il bien malheureusement.
— Il y a de quoi, affirma-t-elle. Depuis l’application des lois que mon père a écrites, tout a changé. Ma mère a été tuée par son mari à cause d’un sorcier ! Comment voulez-vous avoir le moindre sentiment chaleureux pour un homme après ça ?!


La jeune fille se retourna et repartit très énervée dans sa chambre. Myrsine s’approcha du jeune homme et s’excusa pour le comportement de Daria. Elle expliqua que depuis quelque temps elle subissait encore plus l’animosité de leur père. Elle était furieuse après lui. Elle raconta aussi qu’elle-même, ainsi que ses soeurs, avaient oublié ce que l’on ressentait lorsqu’on vivait en toute quiétude. Golfrid était navré pour les princesses. Il ne pensait pas que le roi pouvait être aussi ingrat avec elle alors qu’il avait été si bienveillant avec lui. Il se sentait même coupable. Le jeune homme comprenait la réaction de Daria mais qu’à moitié. Détester son père était envisageable mais pourquoi tous les hommes ? Surtout que lui-même avait eu un bon comportement envers elle. Il avait même détourné les moqueries pour que ces ingrats la laissent tranquille. Il supposait qu’il devait s’armer de patience avec elle. Après tout, il était issu de la paysannerie, il ne s’attendait pas à un traitement de faveur de la part de la première fille du roi.


Golfrid avait rencontré le roi environ six ans auparavant, lors d’une fête dédiée aux dieux. À l’époque, un enfant plus jeune que lui voulait prendre une pêche sur un étalage. Or un noble voulait également la prendre. Le noble, aussi égoïste soit-il, avait violemment grondé l’enfant. Il l’avait même fait passer pour un voleur. Golfrid (âgé de onze ans à l’époque) trouvait cet affront infondé alors il prit la défense du petit garçon sous le regard du roi.
Le noble allait le gifler quand son bras fut stoppé par le souverain. Le noble regarda Timilas de manière étourdie puis s’excusa auprès de lui.
— Qui es-tu mon garçon ? demanda Timilas d’un air intéressé.
— Golfrid Monseigneur, répondit le jeune garçon.
— Tu es bien téméraire de t’en prendre à un homme qui fait deux voire trois fois ton poids, affirma le roi.
Golfrid ne répondit pas et se contenta de fixer le roi.
— Voudrais-tu devenir un de mes chevaliers Golfrid ?
— Pour de vrai ? questionna le jeune garçon enthousiasmé.
— Oui, fit le roi en acquiesçant.
— Monseigneur, fit le noble, si je puis me permettre, c’est un garçon de ferme. Il n’y connaît rien au combat.
— Il sera entraîné comme les autres. Je vais désigner un maître d’apprentissage pour toi Golfrid. Tu apprendras à combattre pour ta patrie.
— Merci Monseigneur !
Le roi retourna auprès de ses nobles. Il les informa que Golfrid était sous sa protection jusqu’à ce qu’il puisse se défendre seul face à un homme. Ce jeune garçon était audacieux, juste et franc. Des qualités que le roi appréciait beaucoup. Seulement il était de plus en plus rare de voir ces valeurs chez les hommes, mais à qui la faute ? Après les lois de Timilas, les hommes avaient plus de libertés ; à une exception près. Le nombre de décès avait augmenté.
La principale raison était que la vie humaine avait perdu de sa valeur. Un homme avait le droit d’ôter la vie d’un autre sans être poursuivi. L’exception était qu’on ne pouvait s’attaquer au roi sans en subir les conséquences. Aussi à cette époque, il fallait former des soldats pour combattre d’éventuelles attaques extérieures. Alors les patrouilles réagissaient tout de même en cas de bagarres trop virulentes sinon, le nombre de soldats aurait considérablement chuté. En effet, les disputes se manifestaient uniquement chez les citoyens. Golfrid s’entraînait durement pour arriver à un bon résultat. Il avait mérité sa place à la table du roi et de rencontrer sa fille. La décision du roi avait engendré la jalousie de certains soldats. Son favori avait même failli finir en passoire. Heureusement que son maître d’armes était présent pour le défendre. Mais revenons un peu à la requête du roi.


Le souverain avait confié à sa fille une mission plutôt embarrassante pour elle. La recherche d’un gendre pour le roi n’allait pas être simple. Allait-elle faire des efforts ? Ou plutôt se faire violence ? Daria n’avait rien fait de tout cela. Elle pensait que son coeur n’appartiendrait qu’à celui qui le méritait vraiment. Le jour de ses seize ans, son père la convoqua dans son bureau. Le délai qu’il lui avait laissé était amplement suffisant. Daria marcha dans les couloirs de marbres blancs jusqu’au bureau du roi. Elle affichait un air hautain, elle avançait la tête haute sans la moindre crainte. Les multiples humiliations n’avaient plus aucun effet sur elle. Néanmoins, elle espérait toujours que son père retrouve la raison. La princesse s’approchait de plus en plus de sa destination. Un garde était posté à la porte du bureau royal. Elle vit Golfrid en sortir, il la salua et elle lui répondit furtivement. Après toutes ces années, elle ignorait toujours son nom. La princesse frappa à la porte sous le regard de l’écuyer puis elle entra sous l’ordre de son père. Elle ferma la porte derrière elle puis elle joignit les mains devant elle.
— Vous m’avez demandé père ? commença-t-elle.
— As-tu fait ce que je t’ai demandé ? demanda-t-il d’un ton sec.
— C’est-à-dire ?
— As-tu trouvé un mari capable de reprendre la couronne ?
— Non père, répondit-elle en baissant les yeux.
— C’est tout de même incroyable ! J’imagine que tu as une bonne raison à ta défaite !
— Au risque de vous offenser, je n’ai pas le droit de sortir.
Je ne rencontre que peu d’hommes, argumenta-t-elle.
— Mais il y a des hommes à ma table chaque soir ! Un seul d’entre eux aurait été suffisant ! Aucun n’est venu te parler après le souper ?
— Non, mentit-elle.
Le roi fronça les sourcils. Il savait que sa fille ne lui disait pas la vérité. Et le souverain détestait le mensonge.
— Alors je prendrai la décision pour toi. Garde !
Un homme ouvrit la porte.
— Oui Monseigneur.
— Faites entrer Harros, ordonna le roi.
— Bien Monseigneur.
Le garde sortit de la pièce puis revint quelques minutes plus tard. Il fit entrer un homme qui n’était ni un noble, ni un bourgeois. Ce n’était qu’un pauvre paysan. Il était brun de cheveux avec un teint un peu bronzé. Il avait une tunique grise et un tablier tâché de sang. Il était enrobé et avait l’air bien dégoûtant.
— Bonjour mon roi, fit le paysan.
— Qui est-ce père ? demanda la princesse un peu surprise.
— Ton futur époux, rétorqua Timilas amèrement.
— Quoi ?! Il n’est pas question que j’épouse un paysan ! protesta la jeune femme.
— Tu feras ce que je t’ordonne ! hurla le roi.
— Et vous comptez remettre la couronne à un paysan ?! demanda-t-elle en mettant ses poings sur les hanches.
C’est insensé !
— Non, ce n’était pas là notre marché. Harros va t’ajouter parmi ses concubines. Quant à la couronne, elle sera destinée à Golfrid.
— Qui est Golfrid ?!
— Un de mes futurs chevaliers. Si tu avais été plus attentive lors de nos conversations, tu saurais qui il est. Maintenant va préparer tes affaires. Tu pars demain à l’aube.
— Vous osez vous débarrasser de moi comme ça ?!
— Oui ! fit le roi avec un regard menaçant. Depuis ton enfance tu me répugnes ! J’attends ce jour depuis des années ! Tu n’es pas capable de te trouver un mari convenable alors je t’en ai trouvé un, bonne à rien ! Maintenant hors de ma vue !! ordonna le roi avec un geste de rejet.
Daria sortit de la pièce les yeux pleins de larmes. C’était donc le sort qu’il réservait à ses filles ? Comment peut-on haïr ses enfants à ce point ? Elle courut dans les couloirs, passant devant Golfrid qui afficha un visage étonné. "Mais que se passe-t-il ?" se demandait-il. Daria s’enferma dans sa chambre. Golfrid s’approcha de la chambre de la princesse. Il colla son oreille à la porte et entendit les sanglots de la jeune femme. Il frappa à la porte puis une voix lui demanda ce qu’on lui voulait.

— Juste vous consoler majesté lui répondit-il. Elle n’ouvrit pas la porte mais elle s’en approcha doucement en essuyant ses larmes.
— Vous êtes bien la première personne à m’appeler ainsi, remarqua-t-elle.
— Vous êtes la fille du roi, justifia-t-il.
— Quel est votre nom ?
— Golfrid.
Ce nom provoqua une grande colère chez la princesse.
— Ah ! Oui, vous êtes le futur héritier ! J’espère que vous êtes content à présent ! vociféra-t-elle en s’agitant.
— Mais dites-moi ce qui se passe ! Pourquoi m’être aussi hostile ? demanda patiemment Golfrid. Que vous ai-je donc fait ?
— Mon père compte se débarrasser de moi ! Vous accéderez au trône sans même épouser une de ses filles !
— C’est atroce, murmura-t-il. Voulez-vous que je parle à votre père ? Je pourrais peut-être le raisonner.
Myrsine arriva à ce moment-là. Elle vit Golfrid parlant à une porte.
— Oui c’est vrai que vous avez plus d’influence que moi ! C’est inutile, il est borné ! cria-t-elle furieusement.
— Alors marions-nous, proposa-t-il.
— Pas question ! Vous me dégoûtez ! Et de toute façon, mon père ne veut plus me voir ! Allez-vous-en !!
Golfrid tourna la tête vers sa droite en soupirant et vit la jeune soeur de Daria. Celle-ci semblait choquée des paroles de la princesse. Elle en était même gênée. Le jeune homme s’éloigna de la porte en reculant. On pouvait voir sur son visage un air dépité.
— Je suis désolée pour ses paroles blessantes. Je la sens tendue en ce moment. Il lui arrive d’être aussi désagréable avec moi. Notre père cherche à s’en défaire et elle le sent.
— Pourquoi ? C’est sa fille. Qu’a-t-elle donc fait pour mériter un tel châtiment ?
— Rien. Elle a juste la malchance de ressembler fortement à notre mère. Plus elle grandit et plus je la vois en elle. Nos plus jeunes soeurs ne s’en rendent pas compte. Elles ont presque oublié le visage de mère.
Golfrid prit congé et s’éloigna vivement. Son air attristé avait changé du tout au tout. Le jeune homme avait l’air très fâché.
— Mais ? Où allez-vous ? demanda Myrsine.
— Négocier avec le roi !
L’écuyer marcha à vive allure dans les couloirs. Il frappa à la porte du bureau royal. Le garde ne bougea point mais on voyait à ses yeux qu’il se demandait ce qui se passait. Un homme à la voix grave lui demanda d’entrer. Il s’exécuta puis referma la porte derrière lui. Le roi était assis à son bureau, en train d’écrire. Voyant le visage fermé de Golfrid, il posa sa plume dans son encrier.
Il entrecroisa ses doigts puis s’adressa à son visiteur.
— Puis-je savoir ce que j’ai fait pour m’attirer un tel regard, commença le roi d’une voix plutôt posée.
— Votre fille, lança Golfrid. Vous ne pouvez pas lui faire ça, poursuit-il sur un ton sec.
— C’est ma fille. Et moi seul décide de son sort.
— Pardonnez cet affront Monseigneur. Mais entendez-vous ce que vous dites ?!
— Oui, j’en suis conscient ! répondit le souverain en haussant le ton. Tu peux oublier ma fille Golfrid car tu ne la reverras plus jamais au château ! Cesse de discuter les décisions de ton roi !
— Oui vous êtes mon roi. Autrefois je vous admirais comme mon père admirait Soriys.
À l’écoute de ce nom, Timilas eut un énorme pincement au coeur. Cela faisait longtemps qu’il ne l’avait plus entendu. Le roi resta silencieux et sa colère se transforma en tristesse.
— Je vous ai juré fidélité c’est vrai. Vous savez que jamais je ne vous trahirai. Mais sachez que je ne cautionne en rien cette décision. Si votre fille s’en va alors oubliez-moi pour la couronne.
— Je t’en prie Golfrid, fit le roi d’une voix accablée, sors.
Il y eut quelques secondes silencieuses.
— Bien Monseigneur. J’avais fini de toute façon.
L’écuyer s’inclina puis sortit du bureau. Le roi posa la tranche de sa main droite sur son front et cacha ses yeux. Des larmes coulèrent sur ses joues puis vinrent tâcher le document qu’il était en train de rédiger. Cette douleur intense qu’il ressentait au coeur mit un temps pour s’en aller. Le souverain ne le savait pas encore, mais il était en train de forger son propre malheur en causant celui des autres.

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(1) Grande tranche de pain sur laquelle on déposait la nourriture.

Date de dernière mise à jour : 2017-12-03

Commentaires

  • stéohane

    1 stéohane Le 2017-12-03

    en un mot, excellent
    j'ai adoré les 4 premiers chapitres offert en lecture
    je vais m’empresser d'acheter le livre
    un collègue conquis
    Coralie Fouriau

    Coralie Fouriau Le 2017-12-03

    Merci Stéphane, c'est très gentil de ta part. :)

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