Chapitre 9 - Une attitude déconcertante

Chapitre 28

Le bateau voguait sur la mer depuis quelques minutes. Le réveil de Sorrento retentit assez tôt dans la journée mais il l’éteignit vite afin de ne pas gêner sa voisine. Il préférait la laisser dormir pendant qu’il travaillait. Il ne revint qu’à la pause de dix heures pour lui amener son petit déjeuner et voir si elle lui en voulait encore. Elle se redressa lorsque la porte s’ouvrit et fut rassurée de constater qu’il s’agissait du majordome. L’autre blondinet aurait pu avoir le culot de s’introduire. Quoique, un aristocrate ne se conduirait pas ainsi.

 

« Bonjour, tu es enfin réveillée. Je t’ai amené ton plateau.

Il le posa sur la table.

— Tu m’as laissé toute seule.

— Je voulais que tu te reposes. Je ne savais pas comment tu aurais réagi si je t’avais réveillée. (Il s’assit à côté d’elle.) Tu m’en veux encore pour hier ? (Elle resta silencieuse, les yeux baissés.) Enliana, je suis désolé de t’avoir blessée. Seulement je ne veux pas que ces gens-là continuent à te faire souffrir.

— Tu ne comprends pas. Il n’y a pas que Queen ou Minos. Il y a toi aussi.

— Quoi ?! Qu’est-ce que je t’ai fait ?

— Rien de mauvais. Tu es très gentil avec moi. Mais je ne peux pas me permettre de m’attacher trop facilement à toi.

— Ah ? Eh bien, tu n’es pas obligée de le faire si tu n’en as pas envie. Je ne suis peut-être pas ton genre d’homme.

— Aucun ne me conviendra.

— Ne dis pas ça, je suis persuadé que tu trouveras quelqu’un. Regarde, Thadeus te courait après. Tu plais sans le moindre problème... Tu serais peut-être bien avec lui ?

— Je viens d’une ferme. Thadeus ne se rend pas compte que je ne suis qu’une paysanne à côté de lui.

— Il n’a pas l’air de s’en soucier. Tu serais à l’abri du besoin si tu l'épousais.

— Mais je ne l’aime pas. Je ne peux pas me marier avec un homme qui ne me plaît pas.

— Et qui voudrais-tu épouser ?

— Quelqu'un qui soit comme moi. Un autre demi-elfe aurait été parfait. Mais il n’y en a pas ici. Je vais mourir seule.

Il lui prit la main.

— Tu ne l’es pas, je suis là.

— Pour combien de temps ? Tu seras dans la tombe que moi je vivrai encore, avec un physique à peine vieilli. Tu ne t’en rends pas compte mais j’ai plus de soixante ans.

Sorrento fut impressionné.

— Ah oui, c'est vrai, je comprends. (Il la serra contre lui.) J’aimerais tellement pouvoir t’aider mais… je me sens vraiment impuissant face à ton problème.

— Ne t’inquiète pas. Ta présence me fait beaucoup de bien. »

 

Le jeune homme lui proposa de manger avant de venir avec lui reprendre le travail. Cela lui changera les idées pendant quelque temps. Sorrento n’avait pas songé à cet aspect-là. Finalement la faire venir sur Terre, était-ce vraiment une bonne chose ? Non, il ne voulait pas la mort d’Enliana, loin de là. Toutefois quel est l’intérêt de vivre une vie de souffrance ? Depuis quand pensait-elle ainsi ?

 

Plusieurs jours s’écoulèrent depuis cette confession. Enliana s’isolait de temps à autre, parfois dans des endroits qu’elle ne connaissait pas sur le bateau. « J’essaie juste de prendre des repères pour de prochaines promenades. » Mais souvent elle affichait un air triste sur le visage quand Sorrento la retrouvait. Cela ne lui plaisait pas du tout. Aussi il remarqua qu’elle ne partait plus sans son précieux sac. Pourquoi ? Il lui avait proposé de voir un médecin mais elle refusa fermement. Sa santé allait très bien. Il est vrai que physiquement elle se portait nettement mieux qu’à son arrivée dans la chambre au manoir de Julian. Néanmoins c’était pour sa santé mentale qu’il s’inquiétait. Il partit voir son maître. À cette heure-ci il devait être à son bureau. Il frappa à la porte et attendit l’ordre pour entrer. Après autorisation il s’introduisit dans la pièce et constata d’emblée la présence de Celena. Elle était juste derrière le bureau, près de Julian, elle avait les joues rouges.

 

« Oh ? si je dérange, je peux repasser plus tard.

Le majordome paraissait si gêné. Son maître avait le siège suffisamment reculé pour accueillir la demoiselle sur ses genoux.

— Non, répondit Celena, je m’apprêtais à partir. Je vais faire les boutiques avec Amaranda. On se voit plus tard Julian.

Elle s’en alla plutôt rapidement et referma la porte derrière elle.

— Je suis vraiment confus, Monsieur Solo. J’ignorais que vous étiez accompagné.

— Ne t’en fais pas. J’aurais une autre occasion de la voir. Que me veux-tu ?

— Je suis inquiet pour Enliana. Elle s’isole de plus en plus de manière préoccupante. J’espère que Thadeus n’est pas derrière tout ça.

— Je ne pense pas. Il n’est pas du genre à… Euh, je n’en suis pas certain. Nereus est souvent obligé de calmer ses ardeurs. Il lui a transmis le message d’Enliana. Je pensais qu’il avait enfin compris.

Soudain quelqu’un frappa à la porte. Julian demanda qu’on entre. Justement c’était Thadeus.

— Dites, vous n’auriez pas vu Enliana ? J’ai l’impression qu’elle m’évite.

— Elle ne veut pas être votre femme, s’impatienta le majordome. Laissez-la tranquille !

— Oui ça je l’ai compris. Je vous remercie Sorrento. Ce n’est pas pour moi, ce sont Amaranda et Celena qui la cherchent. Elles pensaient lui proposer de faire les boutiques mais la demoiselle est introuvable.

— Elle a peut-être envie de rester seule, répondit Julian.

— Ça fait un moment qu’elle reste seule. Il faut que ça cesse ! »

 

Le majordome sortit du bureau, suivit de Julian et Thadeus, pour partir à la recherche de la demi-elfe. Il se doutait bien que les paroles de certains devaient lui trotter dans la tête. Elle réagissait ainsi depuis la dispute qu’il avait eue avec elle. Est-ce que cela aurait déclenché un déclic ? Pourvu qu’elle ne fasse pas de bêtise regrettable. Il parcourut tous les étages du bateau, même dans des endroits où elle ne penserait pas aller un jour. Il finit par la retrouver dans un des couloirs des niveaux inférieurs, près du théâtre. Sorrento se hâta vers elle et arriva complètement essoufflé.

 

« Enliana, on te cherche depuis tout à l’heure.

La jeune femme semblait sortir de ses songes pendant qu'il reprenait doucement son souffle. Elle avait une de ses mains dans son sac qu’elle trimbalait à longueur de temps. Elle lui répondit d'une voix très calme.

— Excuse-moi… J’ai voulu voir un peu plus le bateau… Je me suis un peu perdue.

— Ah ? Préviens-moi quand tu veux une visite guidée.

— Mais tu travailles. Je ne voulais pas t’ennuyer encore une fois.

— Certes, mais tu peux te promener avec Mademoiselle Amaranda et Mademoiselle Celena. Elles voulaient t’inviter à faire les boutiques. Est-ce que tu en as envie ?

Elle prit une grande inspiration qu’elle rejeta aussitôt.

— Moui, pourquoi pas ? (Le jeune homme la fixa inlassablement, comme s’il cherchait à la sonder.) Quoi ?

— Parfois je me demande ce que tu as en tête. Je n’aime pas voir que tu t’écartes autant de moi.

— Je me suis juste perdue.

Il fronça les sourcils.

— En supposant que ce soit vrai.

— Quoi ? Tu crois que je vois Thadeus en cachette ?!

— Non, je crains autre chose.

— Arrête de t’inquiéter pour moi. Je vais bien !

Le majordome posa son regard sur le sac. Elle était en train de jouer avec quelque chose. Il espérait que ce ne soit pas un objet dangereux.

— Qu’est-ce que tu manipules comme ça dans ton sac ?

Enliana fut surprise par cette question, sa réaction fit un peu ressortir sa main. Il fallait chercher quelque chose pour apaiser ses craintes. Elle la remit dedans puis sortit sa gourde.

— Je joue simplement avec le bouchon. Ça m’aide à me calmer quand je me sens stressée. Ça te convient comme réponse ou va-t-il falloir que je vide mon sac ?

— Ah ? Bon. Viens avec moi, les femmes se font du souci pour toi et elles ne sont pas les seuls. Même Julian inspecte les lieux pour te retrouver. »

 

La jeune femme marcha sur ses pas sans plus de manifestation. Sorrento ne la croyait pas vraiment lorsqu’elle prétendait s’être perdue. Avant elle restait limite collée à lui et là elle s’éloignait de plus en plus. Quelque chose s’était passé dans son esprit et cela faisait peur au jeune homme. Kanon ne lui avait pas envoyé cette fille pour qu’elle finisse dans un cercueil… aquatique, comme elle disait. Il accompagna la demi-elfe auprès des dames puis il informa Julian que la demoiselle avait été retrouvée. Le propriétaire exprima son soulagement. Toutefois le majordome demanda discrètement une entrevue d’urgence dans son bureau. Cependant Enliana l’avait bien entendu, elle n’était pas sourde ! Elle savait que Sorrento soupçonnait un mensonge. Si elle voulait passer à l’acte, elle devait se décider vite avant d’être mise sous surveillance. Sinon il sera trop tard pour rejoindre l'Alraune.

Date de dernière mise à jour : 2020-08-19

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